Cette histoire a été écrite par HyperSam
Catégorie Non-jugeable
L'auteur ne veut pas être jugé sur ce texte.
Résumé[]
« 2001, les montagnes du Colorado. Terry Dwight, adolescent apparemment sans histoire, vit depuis peu dans la ville de Cloudhold avec son ami, Sam Evans. Du jour au lendemain, une vague de disparition sans précédent secoue leur petit hameau tranquille. Cette affaire inexpliquée intrigue un bon nombre d'habitant, mais qui sait à quoi s'attendre ?
Au lycée, alors que Sam se rend en pause, il entend parler d'une étrange rumeur. Cette dernière lui en rappelle une autre très connue. Comme toute personne saine d'esprit, il trouve ce qu'elle raconte absurde et n'y croit pas. Après tout, depuis quand regarder dans un miroir a déjà coûté la vie à quelqu'un ?
Donc, pour prouver que le rituel dépeint pas la rumeur est bien un canular, l'intrépide adolescent réussira à convaincre son ami de l'aider à mettre en place la procédure.
Mais Terry l'ignore encore, Sam sera responsable, malgré lui, de sa longue descente aux enfers... »
Avant-propos[]
Bienvenue, cher lecteur, dans cette histoire, qui j'espère, va te plaire ! Ici, tu trouveras une aventure sombre, parfois dure et tragique prenant place dans notre monde, au Canada, au Colorado, au début des années 2000. Si tu demandes ce qu'il y a au programme, voilà un aperçu : un thriller horrifique teinté d'urban fantasy, un coin perdu, un monde alternatif dans les miroirs, une vague de disparitions inquiétantes, une malédiction, un protagoniste qui a l'impression qu'il y a des « trous » dans sa mémoire, un culte sombre et macabre, etc.
En passant, c'est la toute première histoire que j'écris dans laquelle je vais embraser à fond le côté effrayant, d'horreur si j'ose dire. Dans si vous avez des remarques, des critiques ou des suggestions en lisant, n'hésitez surtout pas !
Sinon, je partage la couverture, pour ceux qui ont cliqué sur l'histoire sans regarder, même si ça m'étonnerait :
Trailer[]
Comme je l'ai sans doute déjà dis, je ne suis pas fan des divers artifices (casting, aesthetics, etc.) que l'on peut faire pour embellir une histoire et pousser le lecteur à lire. Sauf peut-être des musiques. Cependant, j'ai pris goût aux trailers. Voilà donc un trailer réalisé par mes soins pour cette histoire :
Fait avec imovie, le tout contient que des vidéos venus de pexels, et une musique, le thème de cette histoire, de ma composition. Je suis vraiment fier de ce premier essai, et j'espère que ça vous donne envie de poursuivre l'histoire :)
Prologue[]
Il courait. Le plus vite qu'il pouvait, il courait. À en perdre l'haleine, à en perdre le souffle, à s'écrouler sur le sol, il courait. Les couloirs du lieu où le jeune garçon fonçait, gris, mornes, sans aucune couleur, lui semblaient infinis. Il avait l'impression qu'il avançait ainsi depuis une éternité, mais il continuait. Il avait mal aux jambes, il avait mal dans tout son être, il grimaçait de douleur, mais il continuait quand même. Il le devait. C'était son devoir. Il lui avait promis.
Des sanglots retentirent alors. Des sanglots qui n'étaient pas ordinaires. En effet, ceux qu'il entendait semblaient être un mélange de tristesse, de détresse, de terreur et de douleur. À l'entente de ces bruits, le jeune garçon redoubla alors d'ardeur malgré son épuisement, redoutant le pire. Il se mit à courir tellement vite que ses longs cheveux châtains se mirent à flotter dans l'air derrière lui comme s'ils dansaient. Par contre, il était tellement concentré sur l'endroit d'où semblaient venir les bruits de pleurs qu'il n'avait pas l'air d'apercevoir les autres jeunes de l'établissement. Les autres élèves, jeunes filles et jeunes garçons, qui portaient tous - ou presque - l'uniforme réglementaire, se poussaient d'urgence hors de son chemin pour ne pas entrer en collision avec lui, ce bolide inarrêtable. Pour lui, tout était désert, vide, les autres n'existaient pas. Ils n'étaient que des images, des fantômes.
Tout à coup, un hurlement retentit, un hurlement à glacer le sang.
« Rex ! Aide-moi ! Rex ! Rex ! Où es-tu ? »
Le silence revint dans l'établissement, et apporta un semblant de calme. Mais c'était trompeur, bien trop trompeur. En effet, un nouveau cri déchirant retentit peu après.
« Non ! Non ! Rex ! »
Avalant difficilement sa salive, le dénommé Rex hésita brièvement, puis, sachant que la voix l'appelait, se jeta à quatre pattes, n'entendant aucunement les exclamations d'étonnement autour de lui. Sa vitesse augmenta alors de façon exponentielle suite à cette étrange manœuvre et il s'élança telle une fusée dans cet étrange couloir qui semblait ne pas avoir de fin, ce couloir qui sortait de ses pires cauchemars. Mais des questions arrivèrent sans crier gare dans son esprit. Ce qu'il vivait était un rêve ? Allait-il se réveiller ? Était-ce vraiment la réalité ?
Se rapprochant petit à petit de l'endroit d'où provenaient les cris, il se mit à paniquer lorsqu'il comprit que c'était la cage d'escalier. Cette panique augmenta même lorsqu'il entendit de faibles gémissements. L'adolescent espérait de toutes ses forces que ce n'était pas ce qu'il imaginait. Prenant son courage à deux mains, Rex freina sa course puis saisit la poignée de la porte. Elle était froide, beaucoup trop froide. Il l'ouvrit et s'y engouffra. Ce qu'il vit alors lui donna de violentes nausées. Et pour cause, une vision d'horreur s'étendait devant ses yeux.
Sa petite sœur gisait là, baignant dans son propre sang encore chaud. Elle avait le cou brisé et le corps couvert de blessures. Le jeune garçon détourna le regard en tentant de retenir ses larmes, mais il n'en était pas capable. Il renifla bruyamment et se mit à culpabiliser, se reprochant d'être arrivé trop tard. Il avait mal. Il était triste. Il était désespéré. Néanmoins, il écarquilla les yeux lorsqu'il entendit sa petite sœur gémir. La regardant à nouveau, il vit que la jeune Dahlia avait encore une toute petite étincelle de vie en elle. Rex frissonna lorsqu'il vit qu'elle le regardait dans les yeux. Brillant d'habitude d'une grande volonté de vivre, les siens allaient bientôt s'éteindre.
« Tu... tu es le... le suivant... »
Ce fut la dernière chose qu'elle souffla avant de rendre l'âme, qui se rendit comme l'espérait Rex dans un monde meilleur loin de toute souffrance. Cependant, son frère n'était pas au bout de ses peines, car il savait trop bien ce que sa défunte petite sœur venait de dire signifiait. Lui et sa sœur n'étaient pas des enfants normaux, il le savait que trop bien. D'ailleurs, il entendit des voix fortes d'hommes à l'étage supérieur. Il comprenait maintenant le regard qu'elle lui avait fait lorsqu'elle l'avait vue, un regard signifiant Fous le camp d'ici en vitesse.
— Hé toi ! Qu'est-ce que tu penses avoir vu ? Viens ici tout de suite ! tonna une voix forte.
Sans demander son reste, Rex prit ses jambes à son cou et se jeta à toute allure dans le couloir. Il refaisait le même trajet, mais maintenant en sens inverse. Il trébucha par contre dans les lacets de ses chaussures, qui s'étaient défaits sans aucune raison apparente.
« Merde ! » Cracha-t-il avant de les nouer en vitesse, puis de se remettre en route.
Maintenant, il comprenait pourquoi sa mère lui disait lorsqu'il était petit qu'il fallait toujours faire attention de nouer les lacets de ce qu'on avait dans les pieds.
Sa mère... Le jeune garçon eut un moment de faiblesse durant lequel il pensa à ses pauvres parents. Comme ils avaient laissé un grand vide dans son coeur fragile lorsqu'ils avaient disparus... Oui, sa tante s'occupait très bien de lui, mais rien ne pourrait remplacer ses géniteurs. Mais se ressaisissant, il reprit sa course aussi vite qu'il le pouvait.
Rex courait encore plus vite qu'il n'avait jamais couru, entendant les hommes crier derrière lui. Paniqué, des larmes coulaient sur ses joues. Même s'il était triste et désespéré, il voulait rester en vie. Il aimait la vie, il aimait vivre. Il ne voulait pas mourir ! Il voulait vivre pour sa cadette !
Franchissant enfin les portes de l'établissement scolaire, qui claquèrent avec force derrière lui, il traversa la route en ignorant les voitures qui circulaient, ne se retournant pas pour voir si les hommes étaient toujours à sa poursuite. Il grimpa à toute vitesse à la gouttière d'un immeuble pour pouvoir fuir par les toits. Démontrant une agilité inhabituelle, il sauta de toit en toit avec adresse. Il n'avait pas de but, pas d'endroit où aller. Il ne voulait que partir le plus loin possible du lieu où la pauvre Dahlia avait trouvé la mort. Mais lorsqu'il sauta sur un échafaudage de chantier, tout ne se passa pas comme prévu. Une planche craqua puis céda sous le poids de Rex, qui dégringola en hurlant avant de chuter brutalement sur le sol. Comme si ce n'était pas assez, le reste des planches tomba à ses côtés, et deux ou trois s'écrasèrent même sur son corps douloureux.
L'adolescent souffrait. Il avait mal. Néanmoins, il ne pleura pas, ne poussa aucun cri, seuls de faibles gémissements se firent entendre. Ouvrant les yeux jusqu'à la moitié de leur capacité, il vit des employés des services d'urgence amassés dans l'endroit. Mais lui n'entendit rien. Même si l'ambulance qui se trouvait en face de lui faisait fonctionner sa sirène, pour Rex, c'était le silence total. Essayant de bouger son bras gauche, il grimaça de douleur, faisant réagir une infirmière près de lui. Étrangement, il entendit ce qu'elle lui dit.
— Tiens bon mon garçon, tu vas vivre ! Nous allons te sauver !
Toutefois, le jeune garçon ne la regardait pas. Il observait ce qu'il pouvait voir de son corps. Il était tombé si brutalement que sa chair était couverte de blessures profondes et d'égratignures, et ce qu'il fut capable d'entendre et de comprendre des conversations entre les ambulanciers qui étaient présents était que la majorité de ses os étaient brisés. Aussi, certains de ses organes étaient perforés. D'ailleurs, lui était dans un état critique, couché dans son propre sang sur le bitume. Sa chemise et son jean, auparavant respectivement turquoise et bleu, étaient maintenant teintés d'écarlate et humides, comme si quelqu'un s'était amusé à les les peinturer en rouge.
Malgré la douleur, Rex réussit à voir une macabre coïncidence : il se retrouvait dans une situation similaire à celle où s'était retrouvée Dahlia, sa maintenant défunte sœur. Les hommes qui le poursuivaient avaient-ils gagnés ? Allait-il mourir ?
L'infirmière revint avec un homme et ils saisirent Rex le plus délicatement possible. Puis, ils le soulevèrent. Lui ne sentit rien, trop de souffrance le frappant en même temps. Or, il fut posé sur une civière, et cette dernière fut chargée dans l'ambulance. Lorsque la porte se ferma, Rex referma ses yeux très lentement, puis perdit connaissance.
L'adolescent erra longtemps dans l'obscurité. Où était-il ? Pourquoi tout était si noir autour de lui ? Où se trouvait la lumière ? Pourquoi le soleil ne se montrait-il pas ? Pourquoi la nuit était-elle éternelle ? Était-il... mort ?
Y avait-il quelque chose au-delà des ténèbres où il semblait coincé ? Était-il prisonnier du néant pour toujours ? En ce moment, il ne ressentait aucune émotion. Rex voulait pleurer, éclater en sanglots, mais rien n'y faisait, c'était comme si aucune larme ne coulait de son visage. Et pour cause : dans ce néant à l'obscurité aussi opaque que de l'encre, c'était comme s'il n'avait pas de corps. En fait, l'adolescent avait l'étrange impression de n'être présent que par esprit.
Soudain, sans prévenir, une vague lumineuse le frappa de plein fouet. Plus habitué à l'obscurité depuis tout ce temps, elle lui donna une affreuse migraine. Mais c'est là que ce qu'il attendait depuis une éternité arriva enfin.
Il ouvrit difficilement ses lourdes paupières. Reprenant ses esprits, Rex comprit qu'il était étendu dans un vieux lit dans une chambre poussiéreuse, baignée dans la faible lueur d'un étrange bocal où étaient enfermées des lucioles. Repoussant les draps et les couvertures, il se redressa en position assise et plaqua une main sur son front.
Jetant un regard autour de lui, il vit que la chambre n'était pas très spacieuse et que toutes les parois étaient faits de bois, d'une essence qu'il ne connaissait pas. Au mur, il y avait un dessin d'enfant représentant sans doute une famille, car il y avait un couple et ce qui devaient être leurs enfants, soit un jeune garçon et une jeune fille. Près de la porte était suspendu un assez grand miroir, mais pas immense non plus. À côté du lit se trouvait une étagère qui était bizarrement vide.
Malgré sa douloureuse migraine, Rex décida de se lever. Lorsqu'il posa ses deux pieds sur le plancher et essaya de marcher, ils ne le suivirent pas, et lui s'effondra sur le sol de tout son long. L'adolescent était sans doute resté très longtemps endormi, pour que ses jambes semblent ne plus répondre. Heureusement pour lui, ça ne prit pas trop de temps puisqu'il réussit à se déplacer normalement assez vite.
C'est alors qu'il l'aperçut : il avait une vieille guitare poussiéreuse qui gisait aux pieds du lit. Les souvenirs du jeune garçon étaient flous, très flous, mais il se rappelait au moins d'une chose, soit qu'il avait joué de cet instrument dans sa vie. Il la saisi donc et pinça quelques cordes, mais se rendit vite compte qu'elle était désaccordée et que l'une d'entre elles était brisée.
C'est alors que sans crier gare, deux hommes imposants vêtus de longues robes bleues, le visage dissimulé par des masques à l'effigie de loup, pénétrèrent dans la chambre. L'un d'eux tira sans ménagement un Rex surpris par la manche de sa chemise blanche, tandis que l'autre amena la guitare avec lui.
« Qui... qui êtes-vous ? Que... qu'est-ce que je fais ici ? » questionna le jeune garçon, paniqué.
Ses paroles ne trouvèrent aucune réponse. Et puis, sans aucune raison, celui qui tirait son vêtement au point de déchirer le tissu le gifla avec force. L'adolescent se frotta le visage avec sa main nue, et vit qu'il se faisait traîner à travers une vieille maison étrange, qui devint rapidement un souterrain qui ne lui disait rien qui vaille après que lui et ses ravisseurs aient emprunté un escalier. Rex se demandait bien où on l'amenait comme ça, mais il ne prit pas la peine d'interroger les hommes masqués, ne souhaitant pas récolter d'autres claques douloureuses.
Cependant, plus ils avançaient, plus l'obscurité accentuait son étreinte, malgré quelques torches ici y là. Elles n'avaient pas de renforts, et donc retraitait devant les ténèbres. Aussi, le couloir devenait de plus en plus étroit et de plus en plus froid. De même, un étrange parfum d'encens flottait dans l'air. Cette odeur fit revenir une question qui restait toujours en suspends dans l'esprit de l'adolescent : dans quel pétrin s'était-il fourré ? Dans ce lieu bien mystérieux, rien n'inspirait confiance. D'ailleurs, se trouvait-il dans le lieu de culte d'une secte inconnue ? Cette pensée le fit frissonner. Il ne souhaitait cela pour rien au monde.
D'étranges runes écrites avec de la peinture rouge étaient marquées sur les parois bleu nuit. Certains de ces mystérieux signes étaient fluorescents, brillant d'une faible lueur. Jetant un regard devant lui, Rex comprit que le point d'arrivée était proche. En effet, lui et ses geôliers s'approchaient d'une étrange porte qui étaient gardés par d'autres hommes, qui portaient quant à eux des masques d'ours. Ceux-ci laissèrent le petit groupe passer lorsqu'il arriva à leur hauteur et ouvrirent le portail, qui grinça bruyamment, trahissant son ancienneté.
La nouvelle salle était circulaire. Dans le centre, une chaise vide en bois semblait attendre quelqu'un. Sur les murs, des runes encore plus nombreuses semblaient étrangement être les seules sources de lumière. Autour du siège central, sur une plateforme plus élevée, d'innombrables personnages portant des masques à l'effigie d'une multitude d'animaux regardaient les nouveaux arrivants. Les hommes qui étaient venu le chercher forcèrent alors Rex à prendre place sur la chaise. Sachant qu'il ne pouvait les combattre, il s'exécuta, docile. L'adolescent fut donc enchaîné, et on arracha sa chemise et ses chaussures, ne lui laissant que son jean. Torse nu, il se mit à grelotter lorsqu'un courant d'air parcourut la pièce. Que se passait-il ? Qu'allaient-ils faire de lui ?
D'un coup, il sentit un liquide d'une chaleur intense se déverser sur sa tête. Le jeune garçon se mit à hurler de douleur et à se débattre au fur et à mesure que la substance poisseuse le recouvrait. Lorsque l'écoulement prit fin, Rex essayant de se secouer, mais rien n'y fit. Penché vers l'avant, il tenta de reprendre son souffle. Il était maintenant couvert d'une matière turquoise nauséabonde. C'est alors qu'il sentit une horrible brûlure dans son dos. Et pour cause : quelqu'un semblait y écrire quelque chose à l'aide d'un bâton de métal chauffé. L'adolescent se mordit sa propre main pour ne pas crier. Pourquoi lui ? Pourquoi subissait-il tout cela ? Où était-il ? Qui étaient ses ravisseurs et ses bourreaux ?
À l'entente de voix incompréhensibles, il comprit que son supplice n'était pas terminé. Une brume étrange recouvrit l'endroit et il avait l'impression d'avoir une tête aussi lourde qu'une brique. Les bruits obsédants continuaient sans relâche. Il avait beau se débattre sur sa chaise, il y était trop bien enchaîné. Avant de perdre connaissance, il crut voir une forme énergétique surgir d'un miroir en face de lui, miroir qu'il n'avait pas vu jusqu'alors.
***
Le garçon commençait à peine à reprendre conscience lorsqu'il comprit que c'était le vide total, et que tout était noir autour de lui. Lui ? Mais qui était-il ? Était-il vraiment quelqu'un ? L'adolescent l'ignorait. Et s'il était quelqu'un, était-il vivant ? Était-il mort ? Ou sinon, était-il un fantôme, cette image d'être vivant qui erre sans but à tout jamais ? Il n'avait pas de réponse...
Quoi qu'il en fut, ce jeune garçon essayait tant bien que mal de regrouper et de réparer son pauvre esprit qu'il laissait voguer autour de lui, ce lui inconnu qu'il ne souhaitait pas retrouver. En fait, il se rappelait qu'il ne se détestait pas, mais qu'il ne s'aimait pas vraiment non plus. Par contre, il avait le très vague sentiment d'être étranger à lui-même, d'être comme une ombre, sensation très désagréable. Cette situation inexplicable lui faisait penser au monologue du Hamlet de Shakespeare, qu'il se rappelait avoir lu à un moment donné, même si il ignorait lequel. Peut-être un cours de littérature à l'école ? Néanmoins, comme le héros du célèbre dramaturge anglais, il se demandait si vivre ou mourir était la question, dont la réponse demeurait encore et toujours un mystère.
Cependant, une faible lueur bleutée au loin lui fit reprendre conscience de ce qu'il y avait autour de lui, ou plus précisément, de ce qu'il n'y avait pas. C'était le vide total. Soudain, la mystérieuse lumière se rapprocha, dévoilant une forme semblable aux feux follets des légendes et des contes de fées. L'étrange flamme passa donc à côté du jeune garçon, sans même s'arrêter. Pourtant, pendant un instant, un instant seulement, il crut qu'elle l'appelait en disant son nom avec une instance retenue.
« Rex... Rex... »
Le pauvre adolescent décida d'ignorer cette forme bizarre. D'ailleurs, il n'était même plus sûr que son prénom était bien Rex. En fait, il n'était même plus sûr d'avoir un nom, point à la ligne. Continuant de se poser des questions existentielles pendant un bon moment, il entendit un bruit derrière lui qui le fit sursauter. Donc, il n'était pas seul, solitaire dans ce néant infini ? Il y avait quelqu'un d'autre ? Le son, d'abord inaudible, devint plus fort. C'était un rire d'enfant.
Prenant peur, le jeune garçon se retourna, pour se rendre compte qu'il n'y avait personne. Avait-il rêvé ? Était-il vraiment seul ou pas ? Sur le qui-vive, il crut entendre à nouveau le rire, cette fois-ci encore plus clair. Il fut alors témoin d'une scène qui le bouleversa : un enfant se tenait devant lui, un enfant qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, avec des cheveux châtains en désordre, comme s'il n'en prenait jamais soin, un visage sombre et un regard perçant...
Mais quelque chose choqua l'adolescent encore plus que le reste. En effet, l'enfant, qui se tenait devant lui, était à bout de forces, comme s'il avait fait une activité physique intense. On aurait même pu croire qu'il pouvait s'effondrer sur le sol à tout moment. Le visage blême, il haletait sans relâche, comme s'il luttait pour retrouver son souffle. Cependant, l'apparition semblait s'en moquer et le regardait droit dans les yeux. Le jeune garçon sentait sans savoir pourquoi que l'autre le regardait au plus profond de son âme. Son regard était douloureux, comme s'il lui rappelait des choses qu'il avait voulu oublier, jeter au plus profond des oubliettes de sa mémoire.
« Tu peux fuir, mais tu ne peux pas te cacher. Nos destins sont liés, donc je te suivrai partout où tu iras, et je te retrouverai partout où tu te cacheras. Ne l'oublie pas... »
L'enfant ne continua pas sa phrase et s'interrompit lui-même en se mettant à rire, d'un rire sinistre que le jeune garçon semblait avoir étrangement déjà entendu quelque part. Mais tout à coup, un halo d'un bleu intense apparu et l'apparition, se taisant abruptement, s'évapora. L'autre vit alors que le mystérieux feu-follet était de retour et qu'il s'approchait maintenant de lui.
« Tu n'es pas seul, Rex. Je suis pour toujours avec toi. Tu n'es pas seul... »
Ces paroles furent les dernières choses dont l'adolescent eut connaissance avant de fermer les yeux bien malgré lui.
Chapitre I[]
« L'arrivée »
J'entrouvris difficilement les yeux, et je réalisai que je me trouvais assis sur une banquette en toile d'un autobus en marche. Comprenant que je m'étais assoupi et que cette folle course-poursuite que je venais de vivre n'était qu'un rêve, je tentais tant bien que mal de me rappeler les événements qui avaient menés à mon entrée dans ce transport en commun.
Oui, c'était bien cela. Lors de mes affreuses années à l'orphelinat des trois chutes, quelque part dans la province du Manitoba, j'avais fait la connaissance du garçon de mon âge nommé Sam. Ce fut au cours d'une de mes très nombreuses fugues. Je me rappelle qu'il était très sympathique et très amical. Nous avions passé quelques jours ensemble, apprenant à se connaître, mais malheureusement, ceux de l'orphelinat me retrouvaient toujours. C'est comme s'ils savaient à chaque fois exactement où je me dirigeais. Je me souviens d'avoir entendu dire que certains surveillants pensaient que je partais à la recherche de mes parents, mais il n'en était rien. Je voulais... je voulais juste les fuir.
Fuir les crises de colère du directeur, fuir les méchancetés des surveillants, fuir les railleries des autres jeunes... au moins, je savais au fond de moi que je m'étais lié d'amitié avec Sam, cet adolescent plein de vie. J'espérais par contre que ce lien allait perdurer, qu'il ne m'oublierait pas. Quelle ne fut pas ma joie et mon soulagement, il y a une semaine, lorsque j'ai reçu une lettre qui m'était adressée. Elle était de sa part. Dans celle-ci, mon ami me proposait de venir vivre avec lui dans un appartement au sein de la ville de Cloudhold dans le Colorado. Ses parents lui avaient donné le logement avant de repartir vers l'Ontario, et se cherchant un colocataire, il avait pensé à moi.
Ayant maintenant dix-sept ans, l'âge où l'on m'avait dit que je pouvais maintenant faire mes propres choix, j'ai tout de suite accepté. J'ai donc quitté au plus vite cet enfer où je vivais depuis ma plus tendre enfance. J'avais emballé mes bien maigres possessions, et avais sauté dans le premier autobus en direction de la ville. Le voyage étant assez long, c'est sans doute pour cela que je m'étais assoupis. Mais rien ne pouvait expliquer ce rêve bizarre. Pourquoi cet étrange dragon me poursuivait-il ? Que me voulait-il ?
Poussant un peu les pans de ma chemise, je plongeai ma main dans la poche de mon jean usé qui perdait ses couleurs et les ressortit aussitôt. Il n'y avait rien, sauf peut-être un dessin d'enfant que j'avais froissé en boule, je ne me rappelais plus pourquoi. Je regardai ensuite à mes pieds, pour y trouver mon sac à dos en toile noire qui commençait d'ailleurs à se déchirer, calé entre mes baskets rouges et tachées. Dedans y étaient entreposées soigneusement le peu de choses que je possédais : un portefeuille contenant mes cartes d'identité et un peu d'argent, une chemise et un t-shirt, une veste défraîchie, un jean délavé et des sous-vêtements, ainsi qu'une brosse à dents.
Perdu dans mes pensées, je portais mon regard vers la fenêtre et me mis à admirer le paysage qui défilait à l'extérieur. Les grands espaces du Canada se présentaient à mes yeux ébahis. J'étais conscient que le pays était grand et possédait de magnifiques décors, mais les immenses vallées, les prairies, les cours d'eau limpides et les forêts denses à travers desquels la route serpentait et s'emmêlait pouvaient facilement faire partie des plus belles choses que j'avais vues de toute ma vie. En même temps, malgré mes fugues, je n'avais pas vu grand-chose d'autre que l'orphelinat.
Or, mon regard se perdit un instant sur mon reflet que me renvoyait la vitre. Grand et élancé, cheveux châtains et très bouclés, taches de rousseurs nombreuses et yeux d'un bleu très froid, on m'avait déjà dit que j'avais un charme indéniable. Par contre, je dois avouer avoir été mal dans ma peau de très nombreuses fois. En réalité, je me trouvais laid, indigne d'intérêt. Qui sait ? peut-être que c'était la vérité après tout.
En ce moment, je portais une chemise blanche avec deux plaquettes boutonnées sur les épaules, ainsi que deux poches sur la poitrine. Elle était supposée faire partie de l'uniforme de l'orphelinat, et elle commençait d'ailleurs à jaunir un peu à force de la porter. Parfois, j'avais juste une envie : la déchirer, ce dernier souvenir de ce lieu de malheur, mais je retenais mon geste lorsque je me disais que je ne possédais presque rien. J'ouvris mon portefeuille, et lu le nom « Terry Dwight » sur l'une des cartes. Oui, c'était bien moi, cet adolescent sans domicile fixe, jugé comme instable par les employés médicaux de l'établissement infernal où j'avais vécu ma vie jusque-là. Cet adolescent délaissé par ses parents à sa naissance, géniteurs qui lui étaient toujours inconnus...
C'était bien moi, cet adolescent mystérieux qui passaient ses nuits à faire des cauchemars, moi, qui n'avait qu'un prénom. En fait, on m'avait appelé « Terry », mais « Dwight » était un nom inventé. L'une des surveillantes de l'orphelinat s'était mis à m'appeler comme ça pour me différencier d'un de mes camarades qui portait le même prénom, et depuis, c'était resté.
Je repensais alors aux scènes qui s'étaient déroulés dans mon rêve étrange. J'étais sûr d'avoir entendu ce dragon murmurer quelque chose qui m'était bizarrement familier.
Je me remémorais alors l'apparence de ce monstre effrayant. Des yeux d'obsidienne en colère étaient placés au bas du crâne épineux et étroit de la créature, ce qui lui donnait une apparence très inquiétante, plusieurs cornes centrales reposaient au sommet de sa tête. Plusieurs rangées de pics étranges descendaient le long des côtés de son immense mâchoire.
Son nez était grand et il y avait deux minuscules narines, de même qu'une callosité sur son menton. Plusieurs dents pointues sortaient du côté de sa bouche et montraient un aperçu de la terreur qui se cachait à l'intérieur, terreur qu'il semblait bien vouloir me montrer en me dévorant. Mais bien entendu, comme tous les cauchemars, je me suis réveillé lorsque, épuisé, il m'avait finalement attrapé. Ce fut lorsque je sentis qu'il me tirait par-derrière que j'avais ouvert les yeux en sursaut. Qu'est-ce que ce monstre pouvait bien représenter ? La culpabilité que j'éprouvais parfois lors de mes fugues ? Ou peut-être autre chose ?
Je décidais de reléguer ces pensées dans les oubliettes de mon esprit, et je sortis le seul livre que je possédais, un livre de contes. À ce qu'il paraît, cet ouvrage se trouvait à côté de mon couffin lorsqu'on m'avait retrouvé, moi, ce bébé abandonné. Reniflant bruyamment, je tournais au hasard les pages minces qui ne sentaient plus très bon. Je tombai finalement sur un récit qui était mon préféré lorsque j'étais enfant : Le vieil homme et le miroir. Dans l'histoire, le personnage du titre vivait sa vie, jusqu'à ce qu'un jeune plein de joie de vivre n'entre dans sa vie. La chute était très surprenante, et je me rappelle qu'elle m'avait donné froid dans le dos la première fois que je l'avais lue. En effet, le jeune était en fait un reflet du passé du vieillard, qui s'était échappé d'un miroir...
Ce récit m'avait toujours frappé pour une raison que je n'arrivais pas à comprendre. C'était comme si je m'identifiais au protagoniste de cette histoire pour enfants. Mais pourquoi ? Rien dans ma vie ne s'était déroulé comme dans la sienne. C'était pour cela que tout était bien mystérieux. D'ailleurs, aucun autre conte du recueil ne m'avait marqué autant que celui-là, sauf peut-être le récit d'un jeune garçon qui se retrouve lié à un rituel étrange. Or, ce dernier compte me paraissait moins vraisemblable pour je ne savais quelle raison.
Perdu dans ce monde de lecture, je sursautai en entendant tout d'un coup le chauffeur de l'autobus annoncer que nous arrivions à Cloudhold dans à peine une vingtaine de minutes. J'avais même pas remarqué que nous avions pénétré dans la province du Colorado. Aussi, la nuit commençait à tomber peu à peu. Dans le ciel, le soleil retraitait pour laisser la place à la lune et aux étoiles. Malgré l'autobus en marche, je pouvais apercevoir certaines constellations, telles que la grande Ourse.
Je poussai un soupir de soulagement en voyant mon transport pénétrer enfin dans les environs d'une ville, étant son passager depuis maintenant plusieurs heures. J'avais donc un grand besoin de me dégourdir les jambes. Quelques minutes plus tard, l'autobus s'approcha enfin de Cloudhold. Il passa par un mur de pierre en ruine couvert de plantes grimpantes, surtout du lierre, et je découvris alors le paysage à couper le souffle qui s'offrait à ma vue. En effet, au-delà des arbres qui bordaient la route, il y avait d'innombrables champs disposés en plateaux qui montaient de plus en plus hauts sur les pentes abruptes de la vallée. De charmants aqueducs solides en bois et en métal où circulait de l'eau claire d'un grand lac au contrebas d'une falaise complétaient le tableau enchanteur.
La ville était peut-être considérée comme un trou perdu, mais je dois dire que jusqu'à maintenant, mes premières impressions m'avaient laissés sur une faim d'en voir plus. J'avais l'impression qu'un nouveau monde, un royaume de mystères s'ouvrait à moi. Une nouvelle opportunité, un nouveau départ dans la vie. Pour le meilleur ou pour le pire, mais j'espérais sincèrement la première option si possible. Oui, cet endroit allait maintenant être mon domicile, mon chez moi. Je voulais faire en sorte de ne rien gâcher.
Plus tard, une fois arrivé au terminus de la ville, je débarquai de l'autobus avec mon sac. Jetant un regard aux alentours, je vis que le parking était vide. Je me dis que ce devait être normal, puisque peu de gens semblaient voyager dans les environs. Cependant, quelqu'un passa sur le quai à côté de moi, et lorsqu'il arriva à ma hauteur, il me jeta un regard qui me troubla. Oui, j'avais l'impression de me regarder dans un miroir tellement l'inconnu me ressemblait. Alors que j'étais figé sur place, il prit ses jambes à son cou, puis sauta sur un skateboard et disparu dans le noir, tout ça avant même que je puisse dire quoi que ce soit. Ce qui me troubla encore plus était le fait qu'il me semblait l'avoir déjà vu quelque part, mais je ne me rappelais plus exactement où.
Néanmoins, j'entendis un nouveau bruit sur le trottoir et levai les yeux. Un adolescent arrivait à son tour en skateboard, avec de longs cheveux blonds sous une casquette noire qu'il portait à l'envers. Sa tenue constituée d'un jean très large, une veste en denim un peu trop grande pour lui et une chemise rouge ouverte sur un t-shirt blanc, il se dirigeait vers ici. C'est alors que je le reconnus. C'était Sam.
Il s'arrêta net lorsqu'il m'aperçut. Moi, qui me tenais là, mon sac très léger sur mon épaule.
Cependant, son visage s'éclaira rapidement d'un sourire contagieux.
— Terry ! Dis-donc, ça fait un bail ! me salua-t-il.
Je posai mon sac sur le sol avant de répondre.
— C'est vrai que ça fait vachement longtemps. Sinon, je vais bien.... Du moins je crois. Et toi ?
Mon interlocuteur me fit un clin d'oeil.
— Bien mieux depuis que tu es là !
Cette réponse m'arracha un petit rire. J'étais aussi très content, soulagé même que ma complicité avec Sam existait toujours, qu'elle ait survécu au temps.
— Donc c'est ici, Cloudhold, dis-je en regardant autour de moi pour poursuivre la conversation.
— Exact ! Même si c'est un coin perdu parmi les collines et les falaises, c'est magnifique, et il y plein d'événements super-géniaux ! Des boutiques, des boîtes de nuit, des restaurants, des salles d'arcade, des lieux historiques, sans parler des paysages fantastiques. On ne s'ennuie jamais quoi. Et puis, un petit avertissement : prépare toi à te coucher très tard.
Sam m'avait toujours fait penser à un geek. En fait, il l'était un peu, aimant beaucoup passer des heures devant ses écrans, que ce soit ses consoles ou encore la télé, mais il était aussi quelqu'un de fêtard.
— Je vois que c'est tout ce dont on peut rêver de mieux, répondis-je en souriant.
— Oh que oui, surtout que l'appartement que m'on donné mes parents, c'est le top du top, mon vieux !
J'écarquillais les yeux malgré moi.
— Tant que ça ?
— Oui, viens voir ! C'est immense ! s'écria-t-il avec son enthousiasme caractéristique en me faisant signe de le suivre.
Mon ami repartit donc sur son skateboard, mais prit par contre une cadence modérée pour ne pas me distancer. Je voulais le questionner sur mon sosie que j'avais vu avant qu'il n'arrive, mais je me dis que ce n'était pas le moment. D'ailleurs, avais-je halluciné ? C'était possible, si l'on considérait mon manque de sommeil. Je décidai donc de penser à autre chose.
— Au fait, tu as quel âge, sans vouloir être indiscret ? me lança-t-il durant le trajet.
— J'ai eu dix-sept ans il y a deux semaines environ. Et toi ? demandais-je à mon tour.
Sam bifurqua brusquement, et je fis de mon mieux pour le rattraper.
— Je m'en vais sur mes dix-huit ans, m'expliqua-t-il. Tu te rends compte ? Je vais être légal dans les bars !
J'esquissais un sourire un peu embarrassé.
— Tu es sûr de ça ? Je croyais que c'était vingt-et-un ans aux États-Unis.
— Nous sommes au Canada, pas aux States, me répondit-il du tac-au-tac.
Le trajet se poursuivit sans accros notables, sauf peut-être le fait que Sam faillit perdre l'équilibre et tomber de sa planche à un certain moment. Passant près d'un carrefour, mon guide pénétra alors dans une ruelle calme et étroite, puis s'arrêta devant un magnifique immeuble à deux étages. De l'extérieur, le bâtiment avait l'air confortable. Construit avec des pierres brunes ornées de décorations en pierres bleue, de grandes fenêtres rectangulaires égayaient la maison et semblaient avoir été ajoutés dans un motif asymétrique.
— L'a... l'appartement est là-dedans ? demandais-je en bégayant. Je cachais mal ma stupéfaction devant la beauté de cette villa.
— Exact, mon cher ! Au deuxième étage, plus précisément. Mais tout cet étage est à nous ! Allez, viens, il est grand temps que tu emménages !
Me faisant un signe de tête, Sam franchit une porte de bois peinturée en blanc. Dans le vestibule où je l'avais suivi, il entreprit de grimper une volée de marches à gauche d'un miroir, son skateboard sous le bras. Instinctivement, j'entrepris de le suivre en évitant de me mirer dans la glace, pour une raison inconnue. Arrivé en haut, il sortit un trousseau de clés de sa poche et déverrouilla la nouvelle porte qui se présentait devant nous. En entrant dans le logement, mon compagnon me dit de prendre mes aises et de faire comme chez moi, car comme il le disait, c'était dorénavant mon domicile.
Mais moi, j'étais bouche bée par ce qui présentait à mes yeux : après un minuscule escalier s'ouvrait ce qui était sans doute la salle de séjour, au centre. Un magnifique canapé de cuir noir y siégeait fièrement, devant un petit meuble où se tenait un gros téléviseur, le top de la modernité. À ses pieds, trois consoles de jeux se disputaient la place : une Nintendo 64, une Playstation, ainsi que le tout récent GameCube. Contre le mur, près d'une grande fenêtre qui donnait une vue imprenable sur la ville, une bibliothèque étroite contenait quelques livres et beaucoup de boitiers de jeux-vidéo différents. Cela témoignait donc du passa-temps favoris de leur propriétaire.
Sur une petite table basse, une plante verte apportait un peu de végétation et s'harmonisait bien avec la couleur sable des murs. Dans la cuisine, à droite, un four, un évier et un réfrigérateur volaient la vedette. En hauteur, des armoires contenaient de la vaisselle blanche. Dans la salle de bain, située à gauche et qui semblait avoir été rénovée il y avait peu, une baignoire trônait vers l'arrière, alors qu'une douche était quant à elle complètement dans le fond de la pièce. Une chemise jaune soleil et un jean d'un bleu très clair, vraisemblablement appartenant à mon ami, séchaient sur des cintres. Ajustant ma ceinture, je continuais ma visite de ce qui était maintenant mon domicile, mon chez moi. Je crois que c'était la toute première fois de ma vie que j'avais la sensation d'être enfin à la maison. J'avais une nouvelle vie qui s'ouvrait devant moi comme une porte s'ouvre devant quelqu'un. Une page se tournait sur les malheurs que je vivais à l'orphelinat. Maintenant, j'avais un ami fidèle avec moi. Je n'étais plus seul.
— Hé, Terry ! Viens par ici, m'appela Sam.
Sans répondre, je m'exécutais, et à sa suite, entrai dans une très grande salle où se trouvait un lit qui avait l'air très confortable. Il y avait aussi une commode, une belle table de travail, ainsi qu'une porte au fond, qui menait vers un balcon.
— Voilà ta chambre.
Ces derniers mots me laissèrent encore plus bouche-bée que ce que j'étais déjà. Tout ça... à moi ? C'était la toute première fois que quelqu'un faisait preuve d'autant de gentillesse et de générosité envers l'adolescent que j'étais. J'étais peut-être trop sensible, mais je n'y pouvais rien. Quelques larmes coulèrent sur mes joues.
— Ça... ça va ? s'inquiéta Sam.
— Oui... oui oui, répondis-je. Je suis juste super sensible.
J'essayais alors de sourire, mais ce fut plus une grimace qui se dessina. Mon ami n'avait pas l'air très convaincu.
— Va falloir que tu me racontes ce qui se passe, un jour ou l'autre, dit-il en fronçant les sourcils.
Ne trouvant rien à rétorquer, je me dirigeai vers la commode et entrepris d'y mettre ce que je possédais. Sam me regarda faire, mais lorsqu'il vit ce que j'avais, il m'arracha mon sac des mains et étudia mes vêtements sous toutes leurs coutures.
— Hé ! m'écriai-je malgré moi.
Il déposa la pile de vêtement sur le meuble.
— Pas très bon, tout ça. C'est tout ce que tu as ? demanda-t-il, étrangement stupéfait.
— Heu... oui ?
J'étais assez embarrassé de lui répondre, mais bon. Je n'étais pas du genre à mentir pour rien.
— Bon. Demain matin, mets ton réveil à sept heures. Première chose que l'on va faire, c'est les boutiques. Il te faut de nouvelles fringues.
— Attends, quoi ?
— Je suis sérieux. Tes vêtements sont sur le point de tomber en ruine. Un coup de vent serait capable de les déchirer. Il te faut autre chose, et surtout, quelque chose qui soit plus à la mode.
Faire les boutiques ? Je n'avais jamais fait cela de toute ma vie. Avant, à l'orphelinat, quelqu'un achetait ce que je portais pour moi. Encore une première ! Mais bon, j'espérais sincèrement pouvoir compter sur les conseils de mon ami, car ça allait être la première fois que j'allais moi-même choisir ce que je porterai. Heureusement, Sam vint couper court à mes pensées, m'évitant ainsi une longue réflexion — presque — inutile.
— Sinon, ça te dit de manger de la pizza ce soir ?
Sans même le savoir, je me mis à saliver à l'entente de ce mot.
— Oh que oui que je suis partant ! Ça fait une éternité que j'en ai pas mangé.
— Quelle sorte ?
Je réfléchis un instant.
— Euh... toute garnis ?
— Okay, va pour ça ! lança-t-il avec un clin d'oeil.
Mon ami décrocha alors le combiné du téléphone et passa un appel.
— Notre repas du soir arrive dans une vingtaine de minutes, déclara-t-il en raccrochant.
Plus tard, pendant que je dévorais ce festin de fromage fondu, de poivrons, d'olives et de pepperoni, je me décidais enfin à poser à Sam la question qui me trottait dans la tête depuis mon arrivée à Cloudhold.
— Dis, Sam, demandai-je entre deux bouchées. Comment se fait-il que tes parents t'aient laissé cet appartement ?
Ce dernier me fit signe d'attendre qu'il termine sa pointe. S'essuyant la bouche avec un essuie-tout, il me sourit avant de répondre.
— Oh, mes parents sont des entrepreneurs très connus partout au Canada, et même au-delà. Ce logement n'était qu'un parmi les nombreux qu'ils possèdent. Ils avaient d'ailleurs décidé de le vendre, mais puisque je poursuis mes études dans cette ville, ils ont finalement accepté de me le léguer.
Satisfait de la réponse, je décidai de changer de sujet. Mon ami m'expliqua que mes inscriptions au lycée de la ville étaient déjà faites. J'étais un peu surpris pour être honnête, me demandant bien comment Sam avait fait pour avoir les renseignements sur moi. Mais bon, fallait que je me mette à penser à autre chose.
— Oh, et est-ce que... heu...
— Est-ce que quoi ?
J'hésitais. Devai-je lui dire ?
— Laisse tomber, répondis-je.
— Si tu le dis, répliqua-t-il, avant de croquer à pleines dents dans sa pointe de pizza.
J'avais halluciné. C'était impossible que je sois tombé sur quelqu'un qui me ressemblait comme deux gouttes deux. C'était impossible. Hallucination, illusion, ou reflet dans un miroir. Peut-être même dans une flaque d'eau. Ça ne valait pas la peine de questionner mon ami.
Après avoir nettoyé la cuisine et laver la vaisselle, Sam décida de regarder la télévision. Néanmoins, les émissions qui étaient diffusées en ce moment ne l'intéressait pas plus que ça. Après quelques minutes à zapper d'une chaîne à l'autre, mon compagnon soupira, puis se leva du canapé sur lequel il s'était installé.
— Tu veux jouer ? me demanda-t-il.
— C'est toi qui vois, répondis-je, ne sachant que rétorquer.
Sam esquissa un sourire, puis appuya sur le bouton pour allumer la Nintendo 64.
— Tu m'en diras des nouvelles, lâcha-t-il avec un clin d'oeil.
Il enfonça une cartouche dans la console, saisit une manette, puis retourna à sa place. Bientôt, l'écran s'ouvrit sur un masque étrange. Puis, un logo apparut.
The Legend of Zelda : Majora's Mask.
J'avais déjà entendu parler de ce jeu, considéré comme excellent, mais je n'y avais encore jamais joué. J'étais juste au courant de l'intrigue basique, soit que Link devait sauver le pays de Termina en empêchant la lune de s'y écraser au bout de trois jours. J'écoutais donc Sam m'expliquer tant bien que mal les principes du jeu. J'appréciais beaucoup l'histoire, mais bizarrement, le concept des masques me perturbait. De plus, j'étais comme mal à l'aise face aux thèmes du scénario, soit la mort, les souffrances, la peur, l'apaisement ainsi que l'oubli. Pourquoi cela me bouleversait à ce point ? Pourquoi ça me disait quelque chose ? Quelque chose que je n'arrivais pas à mettre la main dessus ?
Mon malaise atteignit son paroxysme lorsque mon ami réussit à vaincre le premier boss et à libérer un être étrange, qui lui apprit l'ode de l'appel. Appel... Ce mot résonnait sans relâche dans mon esprit.
Prétextant la fatigue, je me levai afin d'aller prendre une douche. Mon compagnon m'annonça qu'il allait lui aussi se coucher dans peu de temps. Mais même sous l'eau chaude, puis dans les couvertures de mon lit, le questionnement ne me lâcha pas.
Pourquoi avais-je l'impression d'avoir des trous dans ma mémoire ? Pourquoi certaines pièces du puzzle qu'était mon esprit semblaient manquantes ? Malgré le fait que c'était la première fois de toute ma vie que j'avais ma chambre à moi, et surtout, la première fois que je dormais dans un endroit aussi calme que celui-là, je n'arrivais pas à trouver le sommeil. Tout s'entremêlait dans ma pauvre tête. Mon départ de l'orphelinat, l'arrivée à Cloudhold, cette étrange vision, peut-être une hallucination, ce rêve étrange...
D'un coup, une nouvelle chose me revint à propos de ce mystérieux songe. Oui, j'avais bizarrement toujours l'impression d'être coincé, prisonnier d'un miroir. Peut-être que c'était à cela que rimait la poursuite : le dragon ne voulait pas me laisser fuir...
Je ne savais qu'en penser. Tout ce qui m'arrivait semblait venir directement d'un livre de contes. Je devais sans doute avoir trop lu le livre qui était avec moi depuis que j'étais petit.
Je décidai donc d'arrêter de m'en faire pour tout cela, et de saisir cette deuxième chance que la vie m'offrait dans cette ville. Ces sur cette pensée optimiste que je réussis enfin à m'endormir, Morphée m'acceptant finalement dans le royaume du sommeil.
Chapitre 2[]
« Déjà-vu »
Le lendemain matin, je me réveillai en sursaut. Encore une fois, le monstre m'avait poursuivi afin de me dévorer. Néanmoins, j'avais pu voir pendant que je courrais que les alentours reflétaient étrangement la lumière. Durant ce rêve, j'étais vraiment à l'intérieur d'un miroir ?
Décidant de ne plus y penser, je poussai les nombreuses couvertures et me levai. L'appartement était silencieux. Sam devait sûrement être encore en train de dormir. N'étant pas très confortable ici, puisque je n'y habitais que depuis hier, je pris la décision de l'attendre, surtout qu'il m'avait dit de mettre mon réveil-matin.
Dehors, il pleuvait doucement. Une multitude de gouttelettes tombaient sur les tuiles du toit, comme des baguettes d'un percussionniste sur un xylophone recouvert d'une légère étoffe. Néanmoins, elles tombaient avec de plus en plus de force, comme si l'instrument était maintenant une caisse claire au rythme régulier, voire une grosse caisse. Depuis que j'étais petit, j'avais tendance à entendre les bruits de la nature sous forme de musique. J'avais d'ailleurs développé un immense talent dans ce domaine, et l'étude de cet art avait été l'une des seules choses que je pouvais faire sans surveillance à l'orphelinat. Mais je ne pouvais jouer de la guitare, l'instrument avec lequel je me débrouillais le plus qu'entre dix heures du matin et dix-sept heures, « pour ne pas déranger les autres ».
Je poussais malgré moi un énorme soupir. La guitare sur laquelle je jouais était une possession de l'établissement. J'avais donc dû la laisser derrière moi. Cela faisait un bon moment que je n'avais pas pincé les cordes, que je n'avais pas tenu la caisse de résonance dans mes mains. Et puis, je ne m'attendais pas à en jouer à nouveau bientôt. Je n'avais pas l'argent pour, malheureusement.
Mon ami sortit en trombe de sa chambre quelques minutes plus tard, me sortant de mes pensées noires. Un seul regard, et je pu voir qu'il avait la tête de quelqu'un qui n'avait pas passé une très bonne nuit. Sans un mot, il se dirigea vers la machine à café. Il moulut du grain, fit bouillir de l'eau, puis mit à cuire des gaufres dans le grille-pain. Ce n'est que là qu'il sembla m'apercevoir.
— Ho, salut Terry ! me salua-t-il avant de bâiller longuement.
Il me donnait sérieusement l'impression d'avoir passé une nuit blanche. Comme si quelque chose le tracassait.
— Salut, bien dormis ? lui demandai-je en essayant de mettre mon questionnement de côté.
Il eut l'air de réfléchir.
— J'ai eu une qualité de sommeil plutôt moyenne je dirais, fini-t-il par avouer.
Ouvrait-il sans le savoir la porte à mes questions ?
— Comment cela ? demandai-je à nouveau.
Sam était clairement inconfortable, mais il reprit rapidement la parole.
— Je... je ne parle pas souvent de ça, car j'ai peur qu'on se moque de moi, mais... ça t'arrive de faire le même rêve plusieurs jours de suite ? me questionna-t-il, quelque peu embarrassé.
Cette interrogation soudaine me frappa telle une gifle en pleine figure. Alors, comme ça, je n'étais pas seul à rêver plusieurs fois de suite à la même chose ?
— Ça... ça m'est déjà arrivé, oui, répondis-je timidement.
Mon ami poussa un soupir, mais je n'arrivais pas à savoir si c'était de soulagement, ou au contraire, de découragement. Quoi qu'il en fut, il reprit rapidement la parole.
— Eh bien, c'est quelque chose que j'ai raconté à très peu de gens, mais mes parents et moi avons été impliqués dans un grave accident de voiture il y a plusieurs années. Un chauffard avait percuté de plein fouet le côté de notre véhicule... Heureusement, nous nous en sommes sorti indemne, sauf mon père, qui est condamné à boiter pour le restant de sa vie...
Un silence inconfortable s'installa.
— Sam, je...
Je décidai rapidement de me taire, ne voulant pas dire n'importe quoi.
L'adolescent en face de moi renifla, puis essuya une larme avant de reprendre.
— Depuis plusieurs jours, je... je rêve de cet événement, et... et mon père et ma mère perdent tout deux la vie... J'ai... presque peur de m'endormir...
Mon ami ne put retenir les sanglots qui lui déchiraient la voix. C'était poignant de le voir, lui, un adolescent d'habitude sûr de lui et bon vivant, pleurer à chaudes larmes. Instinctivement, je le serrai dans mes bras.
— T'inquiète, ce n'est qu'un rêve, soufflai-je.
Du moins, je le souhaitais. Ce n'était pas normal de revivre les mêmes scènes traumatisantes une nuit après l'autre. Quelque chose de grave devait se cacher derrière ça.
— Me... merci Terry, dit-il. Bon, aller. Ne commençons pas cette journée d'un mauvais pas !
Sam sortit les gaufres du grille-pain, puis en remit d'autres. Ensuite, il fit infuser le café et ouvrit la porte du réfrigérateur. Il en saisit un tube de crème chantilly ainsi qu'un de sauce au chocolat.
Ce petit-déjeuner était aussi le meilleur que j'avais mangé de toute ma vie, moi qui étais habitué au pain grillé jusqu'à en brûler. J'aidai mon ami à laver la vaisselle et à nettoyer la cuisine.
— Il faut que tu saches que je suis habitué de vivre seul, donc je peux avoir certaines habitudes qui déranges, m'avertit-il.
— On verra bien, répondis-je avec un sourire.
Après avoir enfilé un pantalon et une chemise sur un t-shirt, je fis mon lit et retournai voir Sam. Vêtu d'un t-shirt large et d'un jean à bretelles, il semblait m'attendre. Il n'avait donc pas oublié la tournée des boutiques qu'il avait annoncée hier soir.
— Alors, prêt pour les emplettes ? me demanda-t-il en souriant.
— Je te rappelle juste que je n'ai pas beaucoup d'argent.
L'adolescent à la chevelure blonde eut un petit rire.
— Qui a dit que tu devais payer ? C'est ma tournée ! déclara-t-il avec un clin d'oeil.
Ces mots me mirent mal à l'aise. Était-ce parce que je n'étais pas habitué à avoir un ami aussi sympathique et attentionné envers moi ? Peut-être.
— Sam, je... je... tentai-je.
Ce dernier leva la main.
— Ne dit rien, c'est normal, dit-il en enfonçant une casquette sur sa tête. Alors, tu viens ?
Sans m'attarder davantage, je suivis mon ami vers le rez-de-chaussée, puis à l'extérieur du bâtiment. La pluie s'était calmée, même si elle était toujours présente. Cependant, mon ami n'étant pas du genre poule mouillée, il décida de partir à pied, disant que le grand air nous fera le plus grand bien après les émotions de la nuit.
S'ensuivit très vite une promenade à travers la ville qui devint presque une visite guidée, Sam me présentant tous les établissements qu'il connaissait, accompagné de quelques commentaires.
« Ce salon de bowling est génial ! J'y viens souvent passer du temps avec des amis. », fit-il devant une bâtisse à l'architecture moderne qui avait une boule et des quilles sur son enseigne. « Ce restaurant, mon vieux, sert la meilleure poutine du monde entier ! Je ne rigole pas ! », furent les mots qu'il lâcha lorsque nous passâmes près d'un autre bâtiment, quant à lui à l'allure rustique et même vieillot.
Ainsi, je savais maintenant où étaient toutes les meilleures boîtes de nuit de la ville, les meilleurs restaurants, et même les meilleurs endroits récréatifs, tels qu'un jardin botanique et un skatepark. Ce dernier me laissa néanmoins un goût amer dans la bouche. Attiré par le skateboard, j'avais déjà voulu en faire, et selon certains, j'avais un talent inné, comme pour la musique. Mais à l'orphelinat, c'était considéré comme un sport qui n'allait pas du tout aux jeunes garçons « bien élevés ».
Je décidai d'essayer de ne plus penser à mon ancien domicile. Cette vie était maintenant derrière moi, il me fallait tourner la page.
Mais ça allait être difficile, j'en avais conscience.
Plus tard, après avoir traversé un pont, Sam s'arrêta.
— Tiens regarde, voilà notre destination, dit-il.
En effet, le centre commercial de la ville s'étendait devant nous, dans toute sa splendeur. Magnifique bâtiment, il était immense. De même, quoiqu'il était assez tôt, le parking était plein, et de nombreuses personnes se bousculaient sur les trottoirs. C'était bien le weekend.
— Cloudhold n'est pas supposé être un trou perdu ? demandai-je, plus pour moi-même que pour mon guide.
Sam esquissa un sourire ironique.
— Pour les extérieurs, la ville semble être un pauvre hameau perdu, éloigné de tout. Seul ce dernier fait est exact. En effet, c'est une métropole où la vie bourdonne, à la manière d'autres grandes villes du pays, comme Montréal, Toronto ou Winnipeg. Allez, viens, nos emplettes ne vont pas se faire toutes seules !
Il se mit à courir vers l'entrée, se mêlant à la foule.
— Hé, attends ! criai-je.
J'ignorais à quoi il jouait, mais comme on dit, tout fut bien et se termina bien, heureusement. Mon ami m'attendait tout simplement à l'entrée, avec un regard espiègle. Je n'avais guère apprécié ce qu'il venait de faire, mais au moins, son enthousiasme contagieux était de retour !
Sans un mot, je l'accompagnai dans les entrailles du centre commercial. Notre premier arrêt fut une boutique de vêtements pour hommes, histoire de m'acheter une tenue plus adéquate selon Sam. Néanmoins, quelque chose me frappa : il n'y avait aucun miroir ! Pourquoi ? Voulait-on éviter quelque chose ? Mais quoi ?
Mon compagnon, pas du tout surpris, m'annonça qu'il serait juge de ce que j'essayerai. J'acquiesçai, même si cette absence de surface pour voir son reflet ne me disait étrangement rien qui vaille. Et puis, est-ce que c'était le seul établissement de la ville qui n'en avait pas ? Sam me devait des éclaircissements là-dessus.
— Pourquoi il n'y a pas de miroir ici ? demandai-je. C'est vraiment bizarre pour une boutique de vêtements...
— C'est une très longue histoire, me coupa Sam, pensif.
Pourquoi son attitude changeait du tout au tout ?
— Nous avons toute la journée, raconte-moi.
Mon ami soupira, mais hocha la tête.
— Ça a commencé il y a quelques années. Plusieurs disparitions de suites, toujours irrésolues, ont frappé la ville. Les théories abondent : selon certains, les victimes se seraient enfuis d'elles-mêmes. Pour d'autres, c'est un tueur en série du genre du tueur du Zodiac qui sévit. Pour d'autres encore, c'est une tragique vague de suicide.
Je devins songeur à mon tour.
— Qu'est-ce que les miroirs ont à voir là-dedans ? questionnai-je.
— J'y viens. Nombreux sont ceux qui pensent que tout a commencé à cause d'eux, ce que je trouve franchement stupide, surtout personne n'a poussé l'hypothèse. À mon avis, ce n'est qu'une légende urbaine, mais faut croire que les autorités y croient. Chez les particuliers, il est recommandé de s'en débarrasser, ce que je ferrai jamais, le grand miroir du vestibule était un souvenir de ma grand-mère. Cependant, les établissements publics sont obligés sans exception.
Je ne savais que répondre. C'était vraiment plus que bizarre. Mais mettant de côté cette réflexion, je me dirigeai vers une salle d'essayage, enfilant tour à tour les tenues proposées par l'adolescent aux cheveux blancs. Et oh mon Dieu, il m'en proposa beaucoup !
Le tour de manège débuta par un jean et un t-shirt large. J'aimais beaucoup le skateboard, mais le style des skaters ne me convenait pas du tout. Au moins, Sam le compris et me fit signe de passer à la tenue suivante. Une chemise bleue et un pantalon chino couleur sable. Je préférais celle-ci à la précédente, mais mon ami me fit une nouvelle fois de continuer à la suivante. Peut-être que j'avais trop l'air d'un intello en portant ça. En fait, je pouvais être considéré comme tel, mais je ne me trouvais pas plus intelligent que la majorité des jeunes de mon âge.
J'enfilais maintenant un jean robuste, une chemise western et une ceinture. Je fis une petite moue. Pourquoi ne pas mettre un chapeau de cowboy pendant que j'y étais ? Au moins, Sam n'avait pas l'air convaincu lui non plus. Il me dit même qu'habillé comme ça, je lui faisait penser à un de ses oncles, propriétaire d'un ranch en Saskatchewan. Cet homme s'étant brouillé avec ses parents il y avait quelques années, il ne voulait plus y songer.
La prochaine tenue était constituée d'un jean à bretelles et d'une chemise à manches courtes blanche. Je l'aimais bien, mais Sam me fit pour celle-là aussi son fameux signe de passer à la suivante. Peut-être que j'avais trop l'air d'un clown habillé comme cela. Il ne manquait plus qu'un noeud papillon !
J'enfilai donc une salopette en denim bleu moyen un peu baggy, ainsi qu'un sweat-shirt bleu nuit. Dès que je finis de mettre ces vêtements, je savais que c'était ça que je voulais. Et puis, pour la première fois, mon ami me fit oui de la tête.
« C'est parfait ! Ça te va comme un gant ! » déclara-t-il.
Cependant, une impression étrange me prit s'assaut. Pourquoi avais-je un sentiment de déjà-vu, d'avoir déjà porté une tenue similaire un jour ? C'était impossible, puisque je ne portais que l'uniforme de l'orphelinat des trois chutes. Si l'on dérogeait à la règle, la punition était assez sévère, chose que j'ai toujours voulu éviter.
Quoi qu'il en fut, je choisis avec ces nouvelles fringues une paire de baskets noires et blanches, qui allaient très bien avec le reste. Je pris aussi quelques t-shirts de couleurs basiques. Il fallut que je m'impose avec force pour pouvoir moi-même payer, mais je tins bon. Je ne voulais pas abuser de mon ami non plus.
Toutefois, alors que je croyais que nous avions terminé, Sam me conduisit vers une autre boutique. J'eux le souffle coupé lorsque je compris que l'endroit vendait des instruments de musique.
— N... non, Sam. C'est trop, là... soufflai-je.
Ce dernier me donna un coup de coude.
— Tu tu tu : j'ai dit que j'allais faire en sorte que tu sois paré pour ta vie à Cloudhold, je tiens toujours parole ! Allez, vas-y, choisis une guitare !
J'esquissais un sourire de reconnaissance. Je m'estimais énormément chanceux de l'avoir dans ma vie. En effet, qu'aurais-je fait sans lui ? Cependant, qu'il soit au courant de mon attirance pour la musique me frappait un peu. Peut-être était-il tombé sur les esquisses de chansons que j'avais laissées sur ma table basse. C'était très possible.
Grattant différentes cordes et écoutant attentivement différentes sonorités semblables, mais pourtant si différentes, je choisis enfin. Mon dévolu se jeta sur une belle guitare au son rond et chaleureux, capable de donner des harmoniques calmes et nostalgiques.
Excité comme un jeune enfant le jour de Noël, j'enfilai l'étui comme un sac à dos et suivis Sam à l'extérieur après avoir réglé la facture. La pluie s'était totalement arrêté, et le beau temps nous faisait l'honneur de sa présence.
— J'ai vu ton visage lorsque j'ai présenté le skatepark en venant ici. Tu sais quoi ? J'ai une planche de trop. Elle sera à toi maintenant, déclara mon ami avec un clin d'oeil.
— Mais... mais Sam... tu en fais beaucoup trop, là ! réussis-je enfin à protester. Je ne veux pas devenir un fardeau !
Il me mit une main sur l'épaule.
— Viens. Je connais l'endroit parfait pour casser la croute !
Il détala à toute vitesse sans attendre son reste. Esquissant un sourire, je me mis à courir à sa suite, essayant de ne pas le perdre de vue. Mais quelque chose attira mon attention. Du coin de l'oeil, je crus voir une mystérieuse ombre me suivre. Inquiet, je jetai un regard dans cette direction.
Rien.
***
Sam n'avait pas tort. Le parc principal de la ville était magnifique. C'était un endroit merveilleux pour rêvasser. Assis sur l'herbe de la rive d'un grand ruisseau, je suivais d'un œil nonchalant l'eau claire qui courait au milieu des végétaux. J'avais pris le temps de me changer puisque nous étions passés par l'appartement, et je portais donc en ce moment ma nouvelle salopette et sweat-shirt. En effet, mon ami m'avait dit avec un sourire malicieux qu'il ne voulait plus me voir habillé de ses vieilles fringues qui tombaient en miettes. Il avait même annoncé qu'il comptait réorganiser toute ma garde-robe.
Il était incroyablement sympathique, gentil et attentionné, mais il me faisait penser à une tornade, ou même un ouragan parfois. Je profitais donc de ce moment calme de solitude, puisqu'il était parti acheter de quoi manger.
J'écoutais le silence, ou plutôt, les sons de la nature qui perçait dans l'endroit silencieux. Les chants mélodieux des oiseaux, comme des flûtes d'orchestres, se mêlaient au chant du ruisseau, qui me faisait penser à des arpèges fluides de piano. Lorsque le cours de l'eau était perturbé par une bestiole, celait faisait à mes oreilles comme des touches de harpes, ou des doux pizzicati de cordes à peine frôlés. Sur la rive de l'autre côté, un ouaouaron se mit à croasser, comme des mystérieuses sonneries de cuivres en sourdines. Je pris une grande respiration et fermai les yeux. Pour une des rares fois dans mon existence, j'étais heureux. La vie me souriait enfin, le destin avait sans doute eux pitié de moi.
Je sortis soigneusement ma guitare de son étui, puis entrepris de l'accorder. Les cordes étaient supposées l'être, mais certaines n'étaient pas à mon goût. Ça devait être la faute à mon oreille, absolue et bien entraînée. Lorsque ce fut terminé, je commençai à arpéger un accord sombre de fa mineur. J'avais en tête la chanson Fable de mon artiste préféré, qui était aussi mon idole, jeune homme qui se faisait appeler R.O.R.I.M.
Je n'avais aucune idée à quoi se rapportaient les initiales, mais cela m'était égal. Sa musique était sublime, ses paroles étaient touchantes et inspirantes. J'adorais Fable, de l'album The Fox Within, qui était pour moi comme une hymne à l'espoir, aux beautés du monde. Une hymne à la vie. La chanson était marquée par un rythme de 7/8, soit sept croches par mesure, ce qui n'était pas très courant. Toutefois, j'aimais beaucoup l'effet « irrégulier » que cela donnait à la musique.
Une fois au refrain, marqué par une brillante modulation en mi majeur, je me mis à tue-tête, me moquant bien de mes alentours.
The world is a fable
A story of wonders
Fairy tale of mysteries
The world is a fable
A story of wonders
A dream come true
C'est alors que du coin de l'oeil, je vis une jeune fille. Elle était assise sur une grosse pierre près du ruisseau. Je ne saurais dire si elle m'écoutait, mais je fus tout à coup embarrassé. Ma timidité avait repris le dessus. Par contre, je dois avouer qu'elle était charmante. Les yeux du même bleu que l'océan, elle avait un joli minois couvert de taches de rousseur, de même qu'une longue chevelure rousse.
Le silence garda son emprise pendant quelques instants. Aucun de nous deux ne semblait vouloir le briser. Cependant, l'inconnue finit par essayer d'engager la conversation.
— Tu chantes très bien, me lança-t-elle en souriant.
— Merci, soufflai-je, tout simplement.
La rouquine se tourna dans ma direction.
— Alors, comment tu t'appelles ? Moi, c'est Leyla.
J'avais conscience qu'elle essayait de me mettre en confiance, mais ma nature timide ne se laissait pas défaire si facilement.
— Te... Terry, bégayai-je.
Les yeux de la jeune fille s'éclairèrent d'un coup.
— Oh ! Tu es donc le nouveau colocataire de Sam ! s'écria-t-elle. Il m'a beaucoup parlé de toi.
Beaucoup parlé de moi ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir raconté sur mon compte ? Pas parce qu'il dirait des mauvaises choses sur moi, chose que je sais qu'il ne ferait jamais. Ça me paraissait étrange.
— Oui, je suis arrivé hier, dis-je.
— Donc tu es tout nouveau ici. Je crois qu'il a déjà commencé à te faire faire le tour de la ville ?
Leyla me fit un clin d'oeil, qui me fit sourire. Décidément, elle arrivait très facilement à me mettre à l'aise. Néanmoins, elle se leva et prit ses affaires.
— Bon, moi va falloir que j'y aille. Je suis attendue. Contente d'avoir fait ta connaissance. On se voit demain en cours ! me salua-t-elle.
La jeune fille s'en alla tranquillement en fredonnant Fable, ce qui me fit encore plus sourire. Mais je me mis à réfléchir à ce qu'elle venait de dire. Oui, c'était dimanche aujourd'hui, j'allais vivre mon tout premier jour au lycée de Cloudhold demain matin. À voir comment j'allais m'en tirer.
Profitant d'être seul à nouveau, je ms à arpéger quelques accords, puis j'entonnai Watercolor, chanson du même album que la précédente. Contrairement à mon interprétation de Fable, je me mis à chanter doucement le refrain.
My dear don't forget
The colors of life
It's not just black and white
It's a pretty pallet
I wish I could paint life in colors
With watercolors
I wish I could paint life in colors
My dreams with watercolors
Surpris, j'arrêtai la musique sur une fausse note. De l'autre côté du ruisseau, je pouvais apercevoir l'extérieur du parc, où se trouvait un trottoir plein de passant. Parmi cette foule, je l'avais vu, lui, ce mystérieux sosie. Je voulais croire que j'hallucinais, mais étais-ce bien le cas ? Surtout que ce qui me frappa le plus, c'était que cet étrange être était maintenant vêtu de la même tenue que moi. La même salopette, le même sweat-shirt, les mêmes chaussures. Le comble de tout cela, c'est qu'il avait un étui de guitare dans le dos !
Quelque peu paniqué, je fermai les yeux et tentai de me calmer. Lorsque je regardai à nouveau, il n'était plus là. Il s'était encore une fois évaporé. Que m'arrivait-il ? Étais-je en train de devenir fou ? Pourquoi étais-je témoin d'un reflet sauvage qui semblait suivre partout où j'allais ? Mais je n'étais malheureusement pas au bout de mes surprises.
Baisant les yeux, je vis une étrange lumière que attirait mon attention. Oui, quelque chose brillait au fond du ruisseau. Qu'est-ce que c'était ? Aussi, il me semblait que ce n'était pas là il y avait à peine quelques minutes. Avec ma main, je touchai l'eau. Elle était ni trop chaude, ni trop froide. Je n'étais pas du tout habillé pour ça, mais ma curiosité était trop forte.
Prudemment, un pas après l'autre, je me mis à avancer dans la petite rivière, profitant qu'il n'y avait personne. Au moins, le courant n'était pas très fort, donc je ne risquais pas de tomber à la renverse. Par contre, l'eau était pas mal profonde pour un ruisseau. Arrivé à la hauteur de l'objet qui brillait, l'élément aquatique arrivait à ma taille. Vérifiant que j'étais bien stable, je me penchai et réussis à prendre le mystérieux bibelot du premier coup. Retournant à la rive afin d'essayer de me sécher, j'eus le souffle coupé lorsque je me mis à étudier ma prise de tous les côtés.
C'était un anneau d'or qui avait vraisemblablement appartenu à ma mère.
Je croyais l'avoir perdu il y avait plusieurs années.
Comment se faisait-il que je le retrouve ici, à Cloudhold ?
C'est à ce moment que Sam décida de revenir, ayant en mains deux sacs de papiers brun qui contenaient sans doute notre repas.
— Hé, Terry ! Voilà les hamburgers... tu aurais pu me dire que tu voulais te baigner ! lâcha-t-il en me voyant à moitié trempé.
Cependant, lorsqu'il vit mon visage troublé, il changea rapidement de ton.
— Qu'est-ce... qu'est-ce qui ne va pas ? me demanda-t-il.
Je pris une grande respiration pour me calmer, et décidai de casser le silence.
— On m'a raconté que cet anneau était dans mon couffin lorsque l'on m'a retrouvé. C'était un souvenir de ma mère. Pourtant, plus tard, une brute qui s'amusait à faire de moi son souffre-douleur me l'a enlevé et l'a jeté dans une rivière. Je ne l'ai plus jamais revu... jusqu'à aujourd'hui. Comment cela se fait-il que ce bijou brillait, au fond du ruisseau ?
Mon ami semblait aussi perplexe que moi. Il ne dit rien.
C'est alors que pour remuer le couteau dans la plaie, un coup de vent amena un journal aux pieds de Sam. Celui-ci le prit machinalement, et se mit à lire le titre à haute voix.
« Une nouvelle disparition secoue Cloudhold »
Étrangement en sueur, l'adolescent aux cheveux blonds prit un certain moment avant de poursuivre sa lecture.
Un homme arrivé dans la ville pour un séjour d'à peine quelques jours vient à son tour d'être frappé par l'étrange vague de disparition qui ternit la réputation de la ville. Venu dans l'espoir de « [...] se réconcilier avec son neveu », Patrick Dover, connu pour être le propriétaire de nombreux spécimens de chevaux très rares, a définitivement joué de malchance.
Au fur et à mesure de sa lecture, Sam devenait de plus en plus pâle. Quelques larmes coulèrent sur ses joues.
« C'est... c'est mon oncle... »
Chapitre III[]
« Regrets »
Perturbé par cette dure nouvelle, Sam me paru absent pendant le reste de la journée. Était-il prit de remords, n'ayant pas eut le temps d'avoir revu son oncle avant qu'il ne disparaisse ? Et puis d'ailleurs, pourquoi ne s'était-il pas annoncé, celui-là ? Toutefois, cette dernière question se répondit d'elle-même. Oui, il avait sans doute voulu trouver son neveu en secret, pour que ce dernier ne le rejette pas. Je n'en avais jamais vécu personnellement, mais j'étais bien conscient que des histoires familiales similaires étaient choses difficiles à vivre. Je me sentais bien mal pour mon ami.
Le soir venu, il se retira dans sa chambre sans un mot et sans même regarder la télévision ou jouer aux jeux-vidéos comme il le faisait d'habitude. Quelque peu étonné, je fis la même chose, afin d'être en pleine forme pour le lendemain, mon premier jour au lycée. Toutefois, mon inquiétude pour mon ami était telle qu'elle engloutissaient celle que j'éprouvais pour le matin. J'eux aussi bien du mal à trouver le sommeil.
Étrangement, lorsque je réussis enfin à amadouer Morphée, je ne fus pas transporté vers le monde onirique. En effet, aucun rêve ne me visita cette nuit-là. Je ne revis donc pas le monstrueux dragon, qui pourtant, avait été fidèle jusqu'à présent. Pourquoi cette absence ? Une nouvelle question qui restait sans réponse. Je revivais cette course-poursuite maintenant depuis une semaine, mais cette durée venait de prendre fin. J'étais bien content d'avoir eux enfin une nuit de sommeil réparateur, mais je me demandais bien pourquoi les mystérieux songes avaient prit fin abruptement. Reprendraient-ils ce soir ? Une partie de moi espérais que oui, afin d'avoir de nouveaux indices pour régler ce puzzle, alors qu'une autre partie, plus rationnelle, souhaitait que non.
Me dépêchant pour ne pas être en retard, je me levai précipitamment, puis enfila l'uniforme du lycée, c'est-à-dire une chemise blanche bien repassée, un pantalon et une veste noire, ainsi qu'une cravate. À la cuisine, Sam était déjà là, en train de boire un café et de dévorer des toasts au beurre d'arachide. Il portait lui aussi la tenue règlementaire, excepté qu'il avait un t-shirt orange et rien autour du coup. Quoique surpris, je ne fis aucune remarque et le salua.
— Prêt pour ta première journée ? me demanda-t-il, avec un sourire artificiel.
— Je crois, oui, répondis-je, sans véritable enthousiasme.
Mon ami avala bruyamment une gorgée de sa boisson chaude.
— Tu verras, c'est pas si terrible que ça.
Je souris malgré moi. Au moins, Sam me semblait aller beaucoup mieux que hier soir. Il m'avait l'air d'être redevenu lui-même. Mais étais-ce bien le cas ?
Après le petit-déjeuner, nous nettoyâmes la cuisine en vitesse avant de prendre le chemin du lycée. Mon ami, impatient, n'était pas du genre à attendre l'autobus, donc nous nous engageâmes sur le chemin à pied. Le parcours à travers la ville se fit sans aucun accidents notables et une fois arrivé à destination, je fus une nouvelle fois époustouflé. Le campus était composé de trois bâtiments reliés ensembles pour un couloir intérieur, mais aussi par un tunnel souterrain. De forme plutôt rectangulaire, ils présentaient une architecture moderne, qui mélangeait arches et lignes brisées.
Nous mêlant aux autres jeunes qui affluaient dans la cour, nous pénétrâmes dans les entrailles de la plus grande bâtisse. Sam m'expliqua que c'était le pavillon principal. C'était là que ce donnaient les cours les plus importants, comme anglais, mathématiques, philosophie, sciences, etc.
Dans un couloir, une tête familière à la longue chevelure rousse nous rejoignit.
— Salut les garçons ! Parés pour cette semaine qui débute ?
— Salut Leyla ! Oui, et toi ? lui répondit le blondinet.
La jeune fille esquissa un sourire avant de poursuivre.
— Je crois que oui. J'ai passé tout mon weekend à étudier, j'espère que je vais rattraper mon retard.
Sam lui fit un clin d'oeil.
— Mais ne t'inquiète pas, tu gères !
Néanmoins, la rouquine semblait me regarder droit dans les yeux, ce qui me mit quelque peu mal à l'aise.
— Et toi, Terry ? Comment tu te sens en cette toute première journée d'école à Cloudhold ? me questionna-t-elle.
Je poussai une soupir.
— Eh bien, on va voir ce que ça va donner. Je vois bien que vous êtes déjà bien avancé. Je vais donc essayer de donner mon 110% pour vous rattraper, répondis-je en me forçant de sourire.
La jeune fille me le renvoya. Néanmoins, regardant sa montre, elle étouffa un petit cri.
— Crotte ! Il faut que j'y aille, je vais être en retard. On se voit plus tard ! déclara-t-elle en détalant comme un lapin poursuivit par un renard.
Demeurés seuls, mon ami et moi continuâmes notre chemin jusqu'à la salle de classe où nous étions attendus. Ceux qui étaient déjà présent bavardaient entre eux, mais tout ce calma d'un coup lorsque le professeur fit son entrée. Fracassante d'ailleurs, puisqu'il échappa une pile de cahiers et de feuilles, qui s'affalèrent sur le plancher. Instinctivement, je me leva pour l'aider à les ramasser. Celui-ci me remercia avec un sourire de reconnaissance.
Pendant le cours, on m'invita à me présenter. Ce fus bref, et heureusement, la plupart des élèves présents étaient amicaux et très sympathiques. De plus, l'ambiance était très détendue, ce qui était plutôt agréable, pour être honnête.
Quoi qu'il en fut, les cours se déroulèrent normalement pendant la journée, qui fut d'ailleurs très nuageuse et même pluvieuse. Les gouttes frappaient doucement les fenêtres, rythmant ainsi la journée scolaire. Les matières défilaient les unes après les autres, telles que les mouvements d'une énorme symphonie : histoire, pour en savoir plus sur l'historique de ma patrie et même de ma propre ville, mathématiques, pour m'apprendre à manipuler des formules de plus en plus complexes, science, pour savoir comment fonctionne la nature, anglais et français, pour me perfectionner dans ces langues, langues officielles du Canada...
Au fur et à mesure de la semaine, je m'appliquai de plus en plus dans mes études, récoltants d'excellents résultats. À mon avis, je n'étais pas si intelligent que ça, mais lorsque je me concentrais et me donnais au maximum, c'était autre chose. D'ailleurs, les professeurs de l'établissements semblaient m'avoir à l'oeil, me donnant des problèmes et autres situations de plus en plus complexes, sûrement pour me tester.
Aussi, je ne parlais pas beaucoup en classe, sauf lorsqu'on me posait des questions, auxquelles je répondais toujours très facilement, ayant acquis un très grand savoir au cours des années. En fait, je n'avais jamais été quelqu'un de très bavard, l'on pouvait même m'étiqueter d'asocial, mais je pouvais y aller à fond dans les conversations si j'étais bien en confiance. Néanmoins, mon assiduité semblait impressionner les autres élèves, mais je m'en moquais. Je ne voulais pas attirer l'attention, raison pourquoi je prenais toujours place au fond de la salle.
Durant les pauses, je restais souvent seul, Sam disparaissant de ma vue. Parfois, il restait avec moi, me présentant à d'autres de ses amis, mais c'était assez rare. Le mystère pesait sur ce qu'il faisait. D'autres fois, Leyla me tenait compagnie, et j'apprenais ainsi à mieux la connaître. Je savais donc maintenant qu'elle avait un petit frère, mais que ses parents étaient énormément exigeant et sévères, trop selon elle. Elle m'avoua d'ailleurs que c'était pour cela qu'elle étudiait presque sans arrêt. Elle ne voulait pas les décevoir, surtout qu'elle était leur seul espoir de se sortir de la misère...
Cependant, ce qui attirait le plus mon attention était lorsque j'entendais des élèves ou même des professeurs discuter de la mystérieuse vague de disparition. Certains parlaient même parfois d'une sois-disant malédiction qui planerait sur la ville et dont les miroirs seraient la cause. Étais-ce pour cela qu'il n'y en avait plus dans les établissements publics ? Possibles, mais je continuais de croire que c'était stupide. Je me rangeais de l'avis de Sam. Tout ce qui se discutait n'était en rien rationnel.
Quoi qu'il en fut, plus le temps passait, plus je réalisai que j'étais en train de me forger une belle réputation parmi les professeurs de l'école. En effet, arrivé à Cloudhold après le début de l'année scolaire, on m'avait dit que ce serait très difficile revenir au même niveau que tout le monde. Chose que j'étais pourtant en train de réaliser, « avec brio » selon certains. Or, celui qui avait l'air de plus m'apprécier que les autres était mon professeur de mathématique, monsieur Grayson. Sachant que j'avais toujours les bonnes réponses à ses questions, c'était presque à tous coups à moi qu'il les posait, ce qui engendrai une jalousie pour d'autres élèves, que certains n'hésitaient pas à montrer. Mais moi, je ne voulais rien savoir d'être sur le devant de la scène. Je ne voulais que bien passer mon trimestre. C'était tout ce que je désirai.
Un jour, alors que je marchais vers la cafétéria du lycée, j'entendis un cri puis des rires. Incrédule, je me mis à marcher plus vite pour voir ce qui se passait. Honnêtement, j'en fut un peu choqué. En effet, un grand gaillard était en train de brutaliser Sam avec l'aide de son complice. Alors que leur victime était déjà étendue sur le sol, les deux brutes continuaient de le frapper à coup de poing.
— Arrêtez ! leur criais-je. C'est quoi votre problème ?
L'un se retourna vers moi.
— Toi, t'en mêles pas, me répondit la brute. Il me doit de l'argent, il me la donnera !
Néanmoins, je l'ignorai et continuai d'avancer.
— Je t'ai dis d'arrêter ! répétais-je.
— Et moi, je t'ai dis de rester en dehors de ça ! cria mon adversaire.
Celui-ci lâcha mon ami et pivota, sûrement pour me frapper par surprise. Par des réflexes que j'ignorais avoir, je réussis à bloquer le poing qui venait à toute vitesse vers ma figure. Le serrant fermement, je me mordis la lèvre. La brute et son complice semblaient perplexes, mais le premier se défit de ma prise et tenta de m'avoir une nouvelle fois. Son coup fut extrêmement prévisible. Un bond sur le côté pour éviter l'attaque, puis mon coude dans ses côtes pour lui donner une leçon.
Retournant à l'assaut, il réussit à peine à me frôler le visage. J'effectua un bond qui me surpris moi-même et lui asséna un énorme coup de pied dans le ventre. Tombant sur le sol en sueur, il cria que j'aurais de ses nouvelles, avant de déguerpir aussi vite qu'il le pouvait, son acolyte à sa suite. Dans la couloir maintenant silencieux, j'observais mes propres poings, interdit. Où avais-je appris à me battre de cette manière ? Bien des choses au sujet de ma propre vie m'échappaient encore, et cela m'enrageait ! Toujours le dos contre le mur, Sam était lui aussi plein d'incompréhension. Je lui tendis une main pour l'aider à se relever.
— C'était quoi ça ? me demanda-t-il une fois debout.
Pour toute réponse, je baissai les yeux. Moi-même je m'interrogeais. Ce qui m'arrivait était loin d'être normal, j'en avais conscience.
— Je le redis une nouvelle fois, Terry, va vraiment falloir que tu me racontes ton histoire en détails, un de ses jours. Tu me caches des choses, et ça me rends inconfortable.
Je me mordis la lèvre.
— Alors, nous sommes deux, je renchéris. Tu ne me dis presque rien de tes agissements, et ensuite, je te vois être la victime de brutes...
Sam soupira.
— Tu apprendra que certaines choses sont trop difficiles à révéler...
Je le regardai droit dans les yeux.
— Tu ne m'apprends rien du tout... lâchais-je malgré moi. D'ailleurs, je sais aussi que toute vérité n'est pas bonne à révéler...
Mon ami baissa les yeux, puis quitta lentement l'endroit à son tour. Il eut cependant la gentillesse de murmurer un « merci » accompagné d'un demi-sourire avant de s'éclipser. Ayant besoin de réfléchir, je me dirigeai vers la cour. Dans ma tête, les péripéties des derniers jours se mêlaient les unes aux autres.
Mon arrivée à Cloudhold, mes rêves bizarres, l'étrange sosie, mes trous de mémoires, cette impression désagréable de déjà-vu, la découverte de l'anneau de ma mère, et maintenant, cette bagarre... Quelle serait la prochaine chose mystérieuse qui allait m'arriver ?
— Hey, ça va ? Tu es tout pâle...
Je me retourna en sursaut. Leyla était là, à côté de moi.
— Je... je ne sais pas en fait, réussis-je à murmurer. Plein de choses bizarres m'arrivent depuis mon arrivée, j'ai l'impression de devenir fou parfois...
La jeune fille me mit une main sur l'épaule, comme si elle me comprenait. Elle poussa un soupir avant de répondre.
— Tu n'es pas le seul sur ce bateau, Terry, révéla-t-elle. Tu me prendra peut-être pour une cinglée, mais je te le dis, cette ville a une mauvaise influence sur bien des gens. Moi y compris...
Le silence, inconfortable, s'écrasa tel une brique.
— Que... que veux-tu dire ? Me décidais-je à lui demander.
Leyla soupira une nouvelle fois.
« Avant d'arriver à Cloudhold, moi et ma famille vivions à Winnipeg, au Manitoba. J'ignore ce qui a poussé mon père à vendre la maison et à en acheter une ici, peut-être pour son travail, mais pour une raison qui nous est toujours inconnue, ma... ma grand-mère, qui vivait au sous-sol chez nous, est morte lorsque l'on préparait les boîtes... »
— Mes... mes condoléances, je suis désolé, lâchais-je malgré moi.
Mais la jeune fille sembla m'ignorer et continua après avoir poussé un long soupir.
« Quand nous sommes arrivé ici, dans notre nouvelle maison, j'ai tout de suite sentit un étrange sentiment de malaise, de peur, de terreur. Cette ville n'est pas normale, j'en suis sûre...
Je dois reconnaître que Leyla était franchement douée pour raconter des histoires. À l'entente de ses mots, j'avais des sueurs froides. Oui, moi-aussi j'étais sûr que quelque chose n'allait pas avec cette métropole. Mais étais-ce aussi grave que ce que ma jeune amie croyait ? Cette dernière, s'étant calmée, poursuivit :
« Je suis convaincu que tu va me considérer comme une folle, mais tant pis, il faut que ça sorte. Un soir, en sortant de l'école, j'ai... j'ai aperçu ma grand-mère parmi la foule de passants... elle avait les mêmes cheveux gris argentés coiffés en une très longue queue de cheval, les mêmes lunettes, le même chemisier rose et le même sourire bienveillant et plein de tendresse... et ce n'est pas tout ! Non : dès lors, je l'ai revue à plusieurs reprises, mais à chaque fois que j'essayais de l'atteindre, elle s'évanouissais parmi les gens. Peut-être que sa mort m'a tellement marqué que j'hallucine continuellement, mais ça m'étonnerai. Je la vois, et pour moi, c'est une certitude. Je le redis, quelque chose dans cette ville est loin d'être normal. Je... je ne croyais pas au surnaturel, mais je crois que je commence... Ça vient peut-être de là, en fait, ce sentiment de malaise et de peur... »
Instinctivement, je posais ma main sur l'épaule de mon amie afin d'essayer de la rassurer. Cependant, dès que ma paume la toucha, je fus emplie d'une terreur intense, et je dû lutter de toutes mes forces et avec toutes ma volonté pour qu'elle me quitte. Que venait-il de ce passer ? Avais-je... avais-je été touché par les émotions de Leyla ? Si cela était la vérité, comme était-ce possible ? Je plaqua une main sur mon front. Oui, j'étais loin d'aller bien. J'avais la désagréable impression que tout me dépassait. Mais il fallait que je continue. Je ne pouvais abandonner, pas maintenant. Il fallait que je sache le fin mot de cette histoire sordide.
Le reste de la journée se déroula sans incidents notables, et le soir venu, Sam m'invita à venir manger dans un petit bistro, l'un de ses restaurants préférés, comme si rien ne s'était passé. Selon mon ami, le propriétaire et chef cuisinier était un homme d'origine française qui était d'ailleurs le père d'un de ses propres amis. Encore une fois selon lui, le bistro servait les meilleurs spécialités culinaires françaises, telles que le coq au vin, des huîtres, du gratin dauphinois, du cassoulet, du foie gras et bien d'autres, tout ça pour vraiment pas cher.
Je dois l'admettre, je n'avais pas beaucoup d'attentes avers le bistro, appelé Bistro Dumas, référence au célèbre auteur des Trois Mousquetaires en arrivant, mais après avoir goûté au foie gras, je compris pourquoi Sam m'avait recommandé le restaurant : La nourriture qu'on y servait était la meilleur que je n'avais jamais mangé !
Plus tard, assis sur la terrasse du bistro, mon ami et moi regardions le soleil décliner peu à peu à l'horizon tout en sirotant une boisson gazeuse. Le ciel était d'un orange intense et magnifique et se mêlait à du rose et du rouge. Ce décor harmonieux fut le plus beau crépuscule que je vis de ma vie. Néanmoins, mon ami et moi entrecoupions notre dégustation de discussions sur tout et sur rien, mais étrangement, nous ne parlions jamais du passé de l'autre ou ne cherchions pas à savoir ce qu'il en était. Il y avait-il quelque chose qui nous effrayait ? Ou ne voulions-nous pas froisser l'autre avec des recherches inutiles ? De toute manière, personnellement, je n'étais pas psychologue et je ne le serais jamais.
Cependant, un téléviseur allumé à l'intérieur du bistro dont je voyais l'écran par la fenêtre attira mon attention. Cette fenêtre étant ouverte, j'entendais tout ce qui se disait à la télé, et je compris donc que c'était un télé-journal qui passait actuellement. Ce que j'entendis me frappa :
« Un homme de la ville de Cloudhold est porté disparu depuis peu. Certains affirment qu'il s'est fait traîné à l'intérieur de son miroir par une force inconnue, représentante de la malédiction qui serait sur la région. Mais ce qui frappe le plus est que cet homme, Andrew Bakers, était un ancien meurtrier qui avait décidé de prendre un nouveau départ en changeant complètement de vie. »
Incrédule, je réfléchis un instant.
— Je croyais qu'il n'y avait plus aucun miroir en ville, dis-je plus à moi-même.
— Oui, mais certains en gardent tout de même chez eux, répondit Sam. Moi par exemple. De toute manière, cette rumeur est fausse. Le surnaturel n'existe pas, tu le sais aussi bien que moi. Ce qui a de vrai, c'est la science. Les miroirs ne sont que des plaques de verre, et non pas des portails vers une autre dimension...
— Tu en es sûr ?
Étrangement, mon compagnon parut déstabilisé.
— Ne... ne me dis pas que tu crois à ces racontars mon vieux. Ces disparitions ne sont que des coïncidences. Dit-il comme s'il voulait me rassurer. Ce n'est qu'une histoire inventée pour faire peur aux jeunes enfants ! Depuis quand d'autres mondes existent ? Je sais que certains scientifiques soutiennent dure comme fer la théorie du multivers, mais quand même !
Néanmoins, quelque chose en moi savait qu'il n'était plus convaincu, loin de là même, surtout qu'il venait de me répondre vaguement en portant son regard vers le soleil qui déclinait à l'horizon.
— Tu sais quoi ? Selon moi, tu ne devrais plus y penser, reprit Sam en se levant de sa chaise, coupant court à la discussion.
Surpris de cette réponse abrupte, je décidais de conserver le silence. Cela men servait à rien d'attiser les feux. Mon ami était à bout de nerfs, je devais le ménager.
Le reste de la semaine se passa sans encombre, ce qui ne fit qu'augmenter mon inquiétude. Le dimanche, je décidais de sortir de la ville et de partir en randonner dans les montagnes. Suivant un sentier étroit et poussiéreux, je pénétrais dans une magnifique forêt qui semblait en parfaite santé, épargnée par la pollution. Mon esprit, lui, vagabondait parmi les souvenirs des événements des derniers jours. La rumeur de malédiction, mon étrange sosie, l'absence de miroir de la ville, les disparitions, comme celle récente de ce Andrew Bakers...
Puis ma pensé se tourna vers le rêve étrange que j'avais fais dans l'autobus, rêve qui semblait me hanter. Pourquoi voyais-je ce dragon monstrueux ? Et puis aussi, pourquoi ses apparitions commençaient-elles à se diluer ?
Cependant, à un moment donné, je remarqua que je ne retrouvais plus mon chemin, la forêt étant plus dense que d'habitude. Fouillant dans les poches de la salopette, je me rendis compte que j'avais oublié ma montre chez Sam, et que je n'avais donc aucun moyen de retrouver mon chemin ni même de voir l'heure. Jouant avec une bretelle de mon vêtement en réfléchissant à ce que je devais faire, je vis quelque chose qui me laissa bouche-bée.
Un sublime papillon d'un bleu brillant et semblable à un feu-follet, que j'étais sûr d'avoir aperçu quelque part se tenait devant moi, virevoltant de haut en bas et de droite à gauche. Comme hypnotisé, je me mis à suivre ce mystérieux insecte malgré moi.
Cette marche improvisée me conduisit aux profondeurs de la forêt et au-delà. Passant un rideau de lierre qui, aux premiers abords, me donnait l'air d'être un mur impénétrable, je découvris qu'il débouchait sur une crique magnifique, d'une beauté presque magique. La surface de l'eau était immaculée, et pour le plaisir du nez et des oreilles, un parfum de trilles, ces magnifiques fleurs sauvages, flottait dans l'air, tandis que une multitude d'oiseaux chantaient en se donnant à coeur joie. Cependant, je me mis à entendre une voix dans ma tête, comme si le papillon s'adressait à moi par télépathie. Je fus quelque peu perplexe, mais rendu là, plus grand chose ne m'étonnait. J'étais prêt à tout avec cette ville.
Ému par la beauté de la place, je vis qu'il y avait quelques arbres et une petite plage de sable blanc qui allait vers l'étendu d'eau. Cet étang était d'un transparence cristalline tout en tirant un peu vers le turquoise, et communiquait avec la mer par un trou dans la falaise caché par des plantes grimpantes et des plantes aquatiques.
Avançant dans l'eau, poussé par une étrange volonté, je vis qu'elle était de plus en plus claire plus je m'éloignais du bord. Lorsque je me retrouva avec de l'eau jusqu'aux genoux, je vis mon reflet, plus net que jamais. Revoir mon image pour la première fois depuis un certain temps fut un peu bizarre. Cependant, j'étais frappé par les cernes que j'avais dessous mes yeux, témoignage de mon inquiétude.
Néanmoins, ce moment ne dura pas longtemps, car mon reflet devint bizarrement flou alors que je n'avais pas touché à l'eau. Il prit la forme d'un enfant qu'il me semblait avoir déjà vu quelque part, et qui me ressemblais comme deux gouttes d'eau. Sous le choc, je perdis pied, mais réalisa que j'étais en train de couler, comme si le fond m'aspirait.
Me débattre ne servait à rien, mais lorsque je fut enfoncé au point qu'uniquement ma tête dépassait de l'eau, je sentis des larmes couler sur mes joues, ne sachant pas se qui se passerais par la suite, si j'allais mourir ou si j'allais vivre. Et puis, tout c'était passé si vite...
Fermant les yeux, ma tête se fit finalement engloutir et je perdis connaissance sans savoir pourquoi.
Chapitre IV[]
« Fragments perdus »
Je repris difficilement mes esprits, avant d'ouvrir péniblement mes pauvres yeux épuisés. J'ignorais pendant combien de temps j'étais demeuré inconscient, mais quoi qu'il en fut, je ne sus que dire ni même que penser lorsque jeta un regard autour de l'endroit où j'avais atterri.
Moi qui m'attendais à mourir noyé après avoir coulé dans l'eau de la crique Minakami sans être capable de me débattre, je me retrouvais pieds nus et habillé avec un t-shirt et un pantalon déchiré. Déjà que le changement abrupt de vêtements me stupéfiait, je fus encore plus étonné lorsque je réalisai que je me trouvais en ce moment même dans un endroit qui m'était totalement inconnu.
C'était une petite île de sable blanc où se trouvait une plate-forme construite avec des briques d'un bleu-turquoise très intense. Le tout était recouvert d'un tapis de lin de la même couleur, mais ce dernier était plus pâle et était orné de motifs d'or et d'argent. Des miroirs immenses flottaient étrangement dans le ciel tout en réfléchissant la lumière des étoiles pour éclairer l'endroit. Cela ajoutait du mystère à l'ensemble, alors qu'un océan limpide et cristallin s'étendait à l'horizon et au-delà.
Je vis rapidement que je n'étais pas seul. En effet, un homme et une jeune femme se trouvaient auprès d'une table sur le bord de la plate-forme opposé à celui où je m'étais réveillé. L'homme avait les yeux fermés, mais je réalisai que sa chevelure noire bien peignée et sa barbe correctement rasée rendaient son âge énigmatique. Bizarrement, son nez était très long, chose qui me fit songer au conte de Pinocchio, ce pantin de bois souhaitant devenir un véritable petit garçon mais dont le nez allongeait chaque fois qu'il mentait. Sinon, comme s'il était un homme d'affaires, cet étrange personnage portait un élégant costume d'un bleu très foncé.
Près de lui, la jeune femme, qui semblait avoir mon âge, avait de très longs, mais alors très longs cheveux blonds et soyeux, qui lui arrivaient au niveau des cuisses. Cette image me fit immédiatement songer au conte de la princesse Raiponce, présent dans le livre que j'avais amené avec moi depuis l'orphelinat. Elle portait une très belle robe longue du même bleu que la plate-forme, ainsi que des chaussons noirs. Ses yeux étaient d'un gris argent, brillants dans la faible lumière de l'endroit, et elle avait un regard bienveillant, quoique grave. L'homme ouvrit les yeux, et mon regard croisant le sien, il prit la parole :
— Bienvenue, cher ami. Je sens ton incompréhension, et sache que l'endroit où nous nous trouvons existe au-delà des rêves et de la réalité, de l'immatériel et du matériel. Mon nom est Édouard, maître de ces lieux. Oh, et voici près de moi mon assistante, Annabeth.
— Cette mystérieuse dimension est réservée à ceux qui ont forgé un contrat, ajouta sa compagne. Seuls ceux-ci peuvent y entrer, ce qui signifie que c'est ce que tu a fais.
Sur ces paroles de la jeune femme, je me rappelais que j'avais écrit mon nom dans le registre des pensionnaires qui quittaient l'orphelinat. Était-ce ce contrat dont ils parlaient ? Je ne pouvais penser à rien d'autre. Néanmoins, l'homme au complet bleu foncé reprit.
- Étant notre client, cela veut dire que tu bénéficieras de nos services et que tu éveilleras dans un proche avenir la force nécessaire afin de combattre les ombres qui obscurcissent ta destinée. J'ai hâte de voir ça, ça va être très intéressant !
Édouard se mit à rire, mais se reprit bien vite.
« Ces lieux changent leur apparence et celle de leurs clients selon l'état de leur cœur. Le tiens se sent comme un naufragé, perdu au beau milieu d'un océan infini...
Le mystérieux homme d'affaires voyait juste en moi, ce qui me rendit inconfortable. Oui, c'était en plein comme cela que je me sentais, bien que je n'avais jamais voulu me l'admettre. Des larmes coulèrent sur mes joues, larmes que j'essayais tant bien que mal d'essuyer avec le revers de mon poignet. Voyant cela, Annabeth reprit la parole.
« N'oublie jamais que de créer des liaisons d'amitié avec d'autres personnes t'aidera à combattre ce sentiment de néant qui est en toi. De même, ces liens augmenteront la puissance de tes pouvoirs, une fois qu'ils seront éveillés. »
Pendant qu'Annabeth parlait, Édouard semblait se faire un jeu de solitaire avec des cartes bizarres. Ce qui me frappa le plus, c'est que l'homme ne touchait pas les cartes ; il avait l'air de les déplacer par la seule force de sa pensée !
« Voici les arcanes. Dans votre monde, vous les utilisez pour prédire l'avenir, mais apprend qu'elles sont beaucoup plus que cela : elles sont chacune liés à une force différente, et chaque personne avec lesquelles tu créeras des liens y seront liés. »
Il effectua alors un mouvement de bras au-dessus de la table, et toutes les cartes disparurent.
« Il est maintenant temps pour toi de retourner d'où tu viens, dit Annabeth. N'ai crainte, nous nous reverrons bien assez vite. »
Dès qu'elle eut fini de parler, ma vue commença à devenir sombre, jusqu'à ce que je perde connaissance à nouveau. Toujours les yeux fermés, je réalisais que le sol était mouillé, et que mes vêtements étaient trempés. Me décidant enfin à ouvrir les yeux, je fus surpris de voir que je portais de nouveau ma salopette et mon sweatshirt, de même que mes baskets. Néanmoins, je venais de me lever et de sortir d'une fontaine, au milieu d'un endroit étrange, baigné d'une aura inconfortable.
Presque tout autour de moi était constitué d'une mystérieuse matière rappelant les miroirs, sauf le sol et quelques plantes, et tout semblait être de couleur turquoise. Aussi, une légère brume flottait dans les environs, obstruant ma vision.
Décidant de marcher un peu pour essayer de me sécher, je me rendis compte que la place où je me trouvais ressemblait beaucoup à Cloudhold, mais entièrement recouverte de miroirs. En effet, j'y découvrais ce qui semblait être la maison où se trouvait l'appartement de Sam, le lycée, le Bistro Dumas, le centre commercial, et même le Gym. Je pouvais même voir au loin la forêt dans laquelle j'avais découvert la crique en suivant le magnifique papillon.
Même le ciel ne faisait pas exception aux miroirs, cachant que ce soit le soleil, la lune ou même les étoiles. Cependant, l'endroit était quand même éclairé d'une faible lumière, ce qui accentuait encore plus l'ambiance mystérieuse. Continuant d'explorer, j'aperçu des nuages noirs qui se mirent rapidement à voler autour de moi. D'un coup, sans aucune raison, ils tombèrent sur le sol et devinrent des flaques d'une sorte de liquide turquoise. Ce dernier prit alors la forme de créatures affreuses qui se jetèrent vers moi en poussant des cris horribles.
Terrorisé, je pris mes jambes à mon coup et couru plus vite que jamais, paniqué par ce qui se passait. Qu'est-ce qu'étaient ces créatures, et qu'est-ce qu'elles me voulaient ? Où étais-je ? Que m'arrivait-il ? Jusqu'à maintenant, c'était la chose qui avait le moins de sens parmi celles que j'avais vécus depuis mon arrivée à Cloudhold.
Pensant avoir semé les créatures, je m'arrêtais dans une ruelle, à bout de souffle. Or, mes yeux s'écarquillèrent lorsqu'ils virent un bâtiment qui se détachait du reste du décor. En effet, il n'était premièrement pas particulièrement recouvert de miroirs, et semblait deuxièmement ne pas faire partie de la métropole. De même, cet immeuble me donna l'impression de déjà-vu, impression qui devenait assez courante ces temps-ci.
D'abord hésitant, une étrange force me poussa à pénétrer à l'intérieur du bâtiment. Peut-être que je redoutais les créatures qui n'avaient peut-être pas abandonné la poursuite, je n'en avais aucune idée. À l'intérieur, je compris malheureusement très rapidement quel était ce lieu : c'était mon tout premier orphelinat, et cette vision soudaine eut l'effet de me rappeler de douloureux souvenirs. Des souvenirs que j'aurais voulu oublier pour toujours...
« Ce n'est pas possible... Mais... mais qu'est-ce qui se passe ici ? » murmurais-je.
Ne comprenant plus rien, je me mis à avancer plus profondément dans l'endroit. Passant dans ce qui semblait être le réfectoire de l'établissement, j'ouvris une porte puis la referma soigneusement derrière moi. La pièce me coupa le souffle. Elle ne faisait pas du tout partie de l'orphelinat que j'avais en mémoire.
Les lumières de l'endroit s'ouvrirent d'un coup sec, révélant des machines d'exercices et des armes telles que des épées ou des couteaux qui étaient accrochés sur les murs. Tout était sale, et parfois même recouvert de sang séché. À ces images d'horreur, j'eus la nausée.
« Non... »
Ce fut la seule chose que je réussis à murmurer avant de tomber à genoux sur le sol. Je me rappelais trop bien de cet endroit. C'était là en effet qu'avait commencé ma vie de cauchemars.
— Oh, voilà des souvenirs qui n'étaient pas bienvenus. À oui, c'est vrai, tu voulais les oublier, lâchas une voix inconnue.
Cette mystérieuse réplique me fit froid dans le dos. Elle me disait quelque chose, mais quoi ?
— Qui êtes-vous ? Montrez-vous ! criais-je, encore à genoux.
Un léger rire retentit dans sa pièce, et résonna à cause de l'écho.
— Regarde ce qu'est devenue ta vie depuis que tu as décidé de fuir : tu n'es devenu qu'un lâche qui pleure tout le temps ! Tu évites tes problèmes au lieu de les affronter, et tu abandonnes à la moindre difficulté. Tu n'es pas digne de ce qui t'as été enseigné...
Je dut me battre de toutes mes forces pour ne pas m'évanouir. L'inconnu à qui appartenait la voix venait de sortir de l'ombre, et cet individu n'était autre que l'enfant que j'avais vu plusieurs fois en rêve, en plus du dragon. À l'observer avec plus d'attention, je réalisais en baissant les yeux de qui il s'agissait. C'était moi-même...
— Les rumeurs sont vraies... Tu es le reflet de mon passé...
L'autre s'approcha de moi et me tendit une main pour vraisemblablement m'aider à me relever. Je la pris fermement, tout en demeurant méfiant. J'eus raison : un sourire mauvais se dessina sur son visage.
— De ce sens, reprit-il, je sais tout sur toi. Même l'action impardonnable que tu as fais lorsque tu avais treize ans. Je sais que tu n'es qu'un sale assassin...
Je fus quelque peu bouleversé par ce changement d'attitude. Il m'avait aidé, pour mieux me détruire psychologiquement ? Lorsque l'enfant termina, il effectua un geste vif avec son bras. La pièce disparue, laissant la place à une ruelle sombre et froide. Je me mis malgré moi à paniquer en voyant un corps inanimé sur le sol. Un cri s'échappa ensuite de ma bouche lorsque je vis que je tenais un poignard ensanglanté dans ma main droite. La ruelle disparue à son tour, et je fus transporté dans ce qui semblait être un cachot, dans des catacombes. Cet endroit poussiéreux qui empestait l'humidité me disait quelque chose, mais quoi ? Je me mordis la lèvre. Oui, j'étais sûr et certain d'avoir déjà été enfermé dans une cellule ici. Mais pourquoi ?
— Même avec l'image qui était devant toi, même avec cette preuve, tu ne veux toujours pas reconnaître le meurtre que tu as commis cette nuit-là ? Tu ne veux pas reconnaître que tu n'es qu'une bête sauvage assoiffée de sang ?
L'enfant surgit à nouveau derrière moi. Exaspéré, je me retournais vivement et lui asséna un coup de pied dans le ventre.
— Assez ! Je n'ai rien fais ! criais-je, en colère.
Mais mon adversaire se releva comme si de rien n'était.
— C'est vraiment ça que tu veux ?
Il claqua des doigts. Le sol s'effrita d'un coup en dessous de moi, et je me sentis tomber pendant un certain temps. Bizarrement, il n'y eut aucun choc à l'atterrissage. Me disant que c'était la meilleure chose à faire, je me précipitais dans un escalier poussiéreux, éclairé par quelques torches accrochées aux murs. Dans mon empressement, je perdis pied et m'écrasais dans une pièce dont la porte n'avait pas été complètement fermée.
La tête dans mes mains, je me levais difficilement, avant d'étudier les alentours. Un immense miroir recouvrait le mur en face de moi, et je fus surpris d'y voir à nouveau l'enfant. Néanmoins, celui-ci avait les yeux baissés, et je vis des larmes couler sur ses joues. Que se passait-il encore ?
« Pourquoi es-tu terrorisé, Terry ? Ta peur est de devenir malgré toi un tueur sanguinaire, et c'est pour ça que tu as tenté de tout oublier. Néanmoins, cette peur n'a aucune raison d'être. Tu es devenu un jeune homme brillant et courageux, qui met la vie des autres avant la sienne, il n'y a donc aucun moyen que tu sois une bête assoiffée de sang. »
Toutes ces images que j'avais voulu oublier durant ces années, tous ces souvenirs que je voulais rejeter au plus profond de mon subconscient, voilà que la brèche leur permettait de défiler à nouveau dans mon esprit. Tel un cauchemar dont je ne pouvais me réveiller, je revoyais tout ce que j'avais essayé d'effacer à jamais de ma mémoire.
Lorsque je n'avais que cinq ans, mes parents disparurent mystérieusement. Par la suite, je fus recueilli dans un orphelinat, et plus tard, amené par des hommes qui ne m'avaient jamais donné de signes d'affection, mais qui m'avaient à la place fait vivre un calvaire. À cette époque, je n'avais pas la connaissance de ce qui était bien ou de ce qui était mal, mais je me doutais bien que quelque chose n'allait pas.
Cependant, je me retrouvais plusieurs années plus tard devant un corps inanimé et ensanglanté. Comment m'étais-je rendu là ? Pourquoi n'étais-je pas capable de me rappeler du reste ? J'avais donc décidé de fuir, et après plusieurs péripéties, je m'étais retrouvé pensionnaire de l'orphelinat des trois chutes. Ainsi, je comprenais que le premier reflet était possiblement la partie de moi-même qui me prenait pour responsable de tout ce qui m'arrivait.
Jetant un regard à l'enfant dans le miroir, je vis qu'il me tendait la main, avec un sourire empli de compassion.
« Accepte ton passé. Réconcilies-toi avec toi-même... »
Esquissant tant bien que mal un sourire à mon tour, je me sentais étrangement en paix, malgré tout ce qui m'arrivait. Prenant une grande respiration, je saisis la seconde chance que l'on m'offrait. Alors, je fus tiré à l'intérieur même du miroir. De même, une migraine extrêmement douloureuse m'assaillit. C'était tellement fort que je ne pouvais me maintenir debout. À nouveau dans l'étrange salle d'entraînement, je m'écroulais sur le sol et me roulais de droite à gauche. La voix du miroir retentit à nouveau.
« Enfin, il était grand temps que tu te décides enfin à accepter ton passé. À l'avenir, sache qu'être ou ne pas être n'est plus la question, car ce qui importe dorénavant est de vivre ta vie. »
Voyant très flou à cause de la douleur intense, j'aperçut malgré tout que l'enfant devint un nuage de particules, puis, que le nuage en question se jeta sur moi. La migraine s'arrêta aussi vite qu'elle était apparue, et je fus alors pris dans un halo d'une lueur bleutée, où des flammes tourbillonnaient autour de moi sans pourtant que je ne ressente aucune brulure. Lorsque tout s'arrêta, j'étais comme emplit d'une énergie nouvelle, d'une puissance que je ne pouvais à peine décrire. J'avais l'impression d'être né à nouveau. Étais-je encore la même personne ? Que m'arrivait-il ?
Sentant que tout se brisait comme du verre autour de moi, je vis mes différents souvenirs dans chacun des morceaux qui s'envolaient dans l'air. Cependant, les créatures hideuses étaient de retour, coupant court ce moment de contemplation. Fronçant les sourcils, je virevoltais un peu partout, utilisant certains fragments solides pour affaiblir mes ennemis. La lutte s'acheva d'ailleurs rapidement, les monstres étranges retombant en poussière sur le sol. Je repris lentement mon souffle, puis observais les égratignures que j'avais reçues : rien de grave.
Voyant que le bâtiment commençait à s'écrouler, je me mis à détaler vers la sortie, en réalisant très étonné que j'étais maintenant devenu encore plus agile, grimpant sur les murs et sautant d'une plate-forme à une autre avec une facilité ahurissante.
Je franchis la porte de l'immeuble juste à temps. En effet, ce dernier tomba en miettes, puis disparu. Mon coeur qui battait la chamade se calma, et je décidais de retourner d'où je venais. Mais... d'où venais-je donc ? Tout semblait avoir changé ! J'explorais davantage, résigné, lorsque j'entendit une voix mélodieuse, mais quelque peu effrayée derrière un immense miroir.
« Arrière ! »
Regardant de plus près, j'aperçut une magnifique jeune femme aux longs cheveux blancs comme neige. Sa peau était très pâle, et elle portait une veste de cuir et un pantalon noir. Elle ressemblait à Annabeth, mais j'étais sûr que c'était une personne différente.
Néanmoins, je compris vite qu'elle était en mauvaise posture, entourée de bestioles menaçantes semblables à celles que je venais de combattre.
« Gentils reflets, gentils reflets... » répétait l'inconnue, comprenant la position dans laquelle elle se trouvait.
N'écoutant que mon courage, je me lançais à l'assaut de la force ennemie. Coups poings et coups de pied volaient dans tous les sens, et l'autre se joignit à moi. Au cours du combat, nous étions retrouvés dos à dos. Profitant d'une courte accalmie pour essuyer le sang qui s'écoulait de mes coupures au visage, je jetais un regard à mon alliée imprévue. Suite à un signe de tête, nous abaissâmes en même temps nos bras. D'un coup, une immense explosion énergétique secoua l'endroit, et nos ennemis tombèrent en poussière.
Abasourdi par ce qui venait de se passer, car je ne m'attendais pas du tout à ça, je n'eus par contre pas le temps d'y penser plus longuement.
— Salut. D'abord, un grand merci pour ton aide.
La jeune femme était encore plus belle maintenant que je la voyais de plus près.
— Quel est ton nom ? Moi, c'est Mavis.
— Je... je m'appelle Terry, bégayais-je.
L'autre me sourit.
— Eh bien, Terry, d'où viens-tu ? Habituée à la solitude, ça fait un certain temps que je n'ai croisé personne ici. Ah oui, si on met à part les étranges présences qui s'évaporent ensuite...
Frappé par les dernières choses qu'elle venait de dire, je décidais par contre de remplir sa première requête.
— Je ne sais pas trop comment l'expliquer, mais je viens d'un endroit qu'on appelle « la Terre ». Chez moi, on l'appelle même parfois « le vrai monde » en rapport avec les mondes fictifs.
Mavis parut étonnée.
— Donc tu es humain... un humain avec toute cette puissance en lui, ce n'est pas très courant.
— ...Où sommes-nous ici ?
La jeune femme semblait encore plus perplexe.
- Tu ne sais vraiment pas où nous nous trouvons ? Eh bien, nous le monde miroir, le royaume des reflets. Les miroirs ou tout autre objet créant une réflexion dans votre monde créent des brèches vers cette réalité qui matérialise les peurs de ceux qui le visitent.
Un lourd silence tomba. Comment devais-je faire pour revenir chez moi ? Étais-je condamné à rester dans cet étrange endroit, qui me semblait trop fou pour être réel ?
— Et toi, qu'est-ce que tu es ? En fait, je veux dire, tu n'as pas vraiment l'air humaine...
— Tu as raison. J'en ai l'apparence, mais je suis bien loin d'être comme toi. Cependant... j'ignore qui je suis vraiment à vrai dire. La plus ancienne chose dont je me rappelle, c'est de vivre ici, parmi des reflets monstrueux...
À l'entente de ses mots, j'eus l'image d'Édouard et d'Annabeth, ces êtres mystérieux, en tête. Qui étaient-ils en fait ? Ils m'avaient recruté pour faire quelque chose, mais quoi ? Combattre l'obscurité qui menaçait Cloudhold ?
— J'ai un accord à te proposer, dis-je. Tu m'aides à combattre la malédiction qui plane sur ma ville, et en retour, je t'aiderais à trouver les réponses à tes questions.
Mavis baissa les yeux, mais secoua la tête.
— Quelque chose en moi me dit de refuser ton offre. Or, c'est la première fois de toute ma vie que j'ai une conversation de cette ampleur avec quelqu'un. J'ignore si c'est ce que l'on appelle « amitié », du moins, le début, mais je veux suivre ce sentiment. Tu m'aideras vraiment ?
Malgré moi, un sourire se dessina sur mon visage.
— C'est une promesse, si toi-même tu me promets de m'aider. En effet, ton savoir sur ce monde sera sûrement très utile.
— Eh bien... j'accepte. Mais... c'est... c'est un peu bizarre comme question, mais puis-je venir dans ton monde avec toi ?
Cette demande me surpris.
— Pourquoi ? ce n'est pas chez toi ici ?
— Oui, mais j'aimerais voir autre chose, voyager... j'aimerais pouvoir changer d'air pour un moment. Si tu acceptes, évidemment.
Mavis m'adressa un sourire sincère.
— D'accord, tu as gagné, je t'amène, dis-je. Mais heu... comment sort-on d'ici ?
La jeune femme eut un léger rire, avant de me faire signe de la suivre. Quittant la place où nous nous trouvions, elle me guida à travers le labyrinthe du monde miroir jusqu'à la fameuse fontaine d'où j'étais sortis en arrivant.
— Voilà notre porte de sortie, annonça-t-elle.
— Tu... tu en es sûre ? demandais-je.
— Oui, reprit-elle une nouvelle fois.
Je pris une grande respiration.
— On y va, répondis-je.
Sautant dans la fontaine, je ne vis plus qu'un bizarre tourbillon turquoise avec le son d'une chute d'eau à mes oreilles. Fermant les yeux, je sentis étrangement que le monde miroir s'évanouit. Toujours les yeux fermés, je sentis une légère brise sur mon visage, puis quelques gouttes de pluie. Ouvrant enfin les yeux pour voir où j'étais, je vis que je m'étais retrouvé assis dans l'eau de la crique Minakami.
Malgré mes vêtements détrempés, je souris en réfléchissant à ce qui était arrivé, car je m'étais réconcilié avec moi-même, avais vaincu mon côté sombre et avais éveillé une « puissance », comme le disait Édouard, et Annabeth, ce qui avait été confirmé par Mavis.
Parlant de cette dernière, je m'étais en plus lié d'amitié avec une nouvelle personne. Néanmoins, penser à la jeune femme me fit prendre conscience d'une chose : Où était-elle ? Elle m'avait guidé dans le monde miroir pour retrouver la porte de sortie, et en plus, elle était venu avec moi...
« Ne t'inquiète pas pour moi, je vais bien »
J'aperçut d'un coup Mavis, assise sur un rocher. Elle observait les alentours, émerveillée. Sortant de l'eau à mon tour, je tâchais de m'essuyer le plus possible avec une serviette que je gardais dans mon sac à dos, sac que j'avais eu la précaution de laisser suspendu sur une branche d'un arbre. Décidant de rester un peu en attendant de sécher je m'assis le dos contre un tronc d'arbre et me laissais aller à la rêverie.
Regardant la crique, songeur, je vis une chose qui attira mon attention. Retournant dans l'eau, je saisis l'objet mais fus très surpris en réalisant ce que c'était. Je tenais dans mes mains un fragment, de verre ou de cristal, je n'en avais aucune idée. Transparent et brillant, quelques rayons du soleil de cette fin d'après-midi se reflétaient sur sa surface.
« C'est sans doute la marque de l'éveil de ta puissance, le fait que tu t'es réconcilié avec toi-même » souffla Mavis, qui avait le regard tourné vers un couple d'oiseaux.
Je restais là à observer l'objet mystérieux, songeur. Or, ma compagne, semblant s'y connaître, reprit :
« Tu as libéré ta véritable identité. Derrière ton apparence de jeune homme fragile et très sensible se cachait le véritable toi, qui a la fougue, la vivacité, le courage et même l'agressivité d'un fauve. »
Le véritable moi...
Oui, je savais maintenant qui j'étais, ou presque, après toutes ces années à chercher sans trouver, à cause de la peur que j'avais envers moi-même, plus précisément envers mon côté sombre.
Après un certain temps passé près de la crique à ne rien faire, je mis le cristal dans mon sac, enfila celui-ci et couru vers le village, suivit de Mavis. En arrivant en ville, je poussais un soupir de soulagement en réalisant que Sam passait la nuit chez son meilleur ami, Theo. Néanmoins, j'avais conscience qu'il allait falloir lui présenter la jeune femme, en essayant de ne rien dire sur le monde des miroirs. Oui, il allait bien falloir lui en révéler l'existence un jour, mais pas maintenant. Et puis, il était tellement sceptique envers tout ce qui était surnaturel qu'il se moquerait sans doute de moi.
Autour de vingt heures, voyant que Mavis semblait énormément fatiguée, je lui proposais mon lit. Elle refusa poliment, me disant qu'elle préférait le sofa du salon. Après avoir discuté de tout et de rien, je la laissais tranquille, et décidais moi aussi de me retirer pour la nuit, les émotions de la journée m'ayant complètement vidé de mon énergie.
Entrant dans ma chambre, je mis mon pyjama, constitué d'un t-shirt blanc et d'un pantalon gris et lu un peu pour me changer les idées un roman que j'avais emprunté à la bibliothèque de la ville. Vers vingt-et-une heure, alors que j'étais en train de m'endormir, une avion en papier passa par la fenêtre ouverte et tomba près de mon lit.
La dépliant, intrigué, je vis que c'était Sam, qui se demandait si j'avais envie d'aller voir un film avec lui demain après l'école. J'acceptais sans hésiter, heureux de pouvoir passer du temps avec mon ami. Mais une pensée me traversa l'esprit : qu'allait faire Mavis pendant ce temps ? En fait, qu'allait-elle faire lorsque l'on irait à l'école ? Il fallait que je lui en parle demain matin. De toute manière, je réécris un message sur l'avion et la lança à l'extérieur, même si je ne savais pas vraiment d'où elle venait. Disons que j'avais confiance que Sam la trouve. Il l'avait envoyée, il la retrouverait.
Me recouchant, je me laissais aller au sommeil. Morphée s'empara de moi étonnement rapidement en comparaison avec d'autres nuits. Mais me réveillant tout d'un coup, je vis autour de moi un océan, et aucune trace du dragon. Je réalisais alors que j'étais de retour dans l'étrange endroit où siégeaient Édouard et Annabeth. Montant les escaliers qui menaient au sommet de la plate-forme bleue, j'aperçus le maître des lieux et son assistante qui n'avaient pas changé de place depuis la dernière fois.
Le mystérieux homme d'affaires prit la parole.
« Bonsoir, et bienvenue. »
Édouard fit une pause, puis continua.
« Félicitation d'avoir éveillé tes pouvoirs ! Ce n'est pas une mince affaire. Toute cette puissance qui sommeillait en toi...
Les choses promettent d'êtres vraiment intéressantes. »
Il ricana, mais fut bientôt coupé par Annabeth qui sortit de son silence.
« Laisse nous t'offrir ceci en cadeau. »
Il effectua un mouvement de la main, puis une clé d'or apparue flottant au-dessus de la table.
M'approchant, je la saisis, mais dès que je la touchais, elle disparue. Cependant, je sentis que quelque chose était entré en moi.
« Cette clé est celle de ceux qui ont forgé un contrat avec moi, ce qui est ton cas. Cet objet, agissant comme d'une marque en toi, te permettra d'accéder à cette île peu importe où tu es. » Sur ce, Édouard effectua un nouveau mouvement de bras et toutes les arcanes disposées sur la table disparurent à leur tour.
« Maintenant, reprit-il, il est temps de revenir d'où tu viens. Profite du temps de repos qu'il te reste, car tu en auras besoin... »
Un moment s'écoula sans que rien ne se passe, lorsque soudain, tout devint noir autour de moi. Mes yeux se fermèrent d'eux-mêmes, alors que je me disais que plus rien n'allait être pareil. Tout avait changé. Sur ces pensées, je sombrais dans un profond sommeil.